Dure semaine pour ma profession. Depuis la mise en ligne de mon billet de vendredi dernier, un enseignant français a été assassiné pour avoir montré des caricatures et une professeure de l’Université d’Ottawa voit sa carrière compromise, et sa sécurité menacée, pour avoir prononcé un mot dans un contexte précis. Je prendrai position rapidement : dans les deux cas, les conséquences sont démesurées par rapport aux actes reprochés.
Dans le cours de français
Qu’est-ce que Verushka Lieutenant-Duval et moi avons en commun ? Plusieurs choses. D’abord, nous enseignons. À des niveaux différents, mais le travail comporte des similitudes. Mais aussi, à peu près au même moment où elle prononçait le fameux mot dans un de ses cours, j’écrivais et publiais moi-même le même mot, cinq fois plutôt qu’une, dans un de mes billets hebdomadaires. Ainsi, si vous relisez mon texte du 25 septembre dernier, vous constaterez que je l’emploie également dans un contexte très précis, soit celui de l’origine du mot, son évolution, son emploi incorrect, tout comme les situations où la langue française le considère encore comme étant correct.
Reprendre textuellement ce mot ici, cette semaine, tiendrait de la provocation, après l’actualité des derniers jours. Ce n’est ni mon intention, ni mon habitude. Mais est-ce que je considère toujours l’avoir employé correctement, sans malveillance, le mois dernier ? Bien sûr.
Faut-il mettre tabou dans nos institutions un mot figurant dans tous les dictionnaires et manuels d’histoire ? Répondre par l’affirmative tiendrait de la déresponsabilisation. Dans le contexte qui nous préoccupe, je serais même porté à parler d’infantilisation.
Dans le bureau de la direction
J’ai connu Jacques Frémont, le recteur de l’Université d’Ottawa, il y a une trentaine d’années. Avant de bifurquer vers l’éducation, j’étudiais le droit à l’Université de Montréal, où il était professeur. Nous avons tenu quelques conversations, tant en classe qu’en privé. Dans tous les cas, il demeurait clair que se tenait devant moi un homme lucide, sensé. Aussi, quand j’ai pris connaissance de son blâme à l’endroit de la professeure Lieutenant-Duval, je n’ai pu m’empêcher de me dire qu’il y avait probablement dans l’histoire deux ou trois éléments inconnus du grand public. Force est maintenant d’admettre que ce n’était pas le cas, la professeure ayant été réintégrée dans ses fonctions, après une humiliation lui ayant fait perdre l’ensemble de sa classe, une étudiante exceptée.
Un bon nombre de collègues de Verushka Lieutenant-Duval se sont au contraire portés publiquement à sa défense. La majorité étant des francophones, les insultes racistes, notamment le mot en F désignant un batracien, ont paradoxalement pullulé sur les réseaux sociaux. Toutes ces personnes ont vu leurs coordonnées personnelles être publiées en ligne. La principale intéressée se dit apeurée, après avoir reçu des menaces à son intégrité physique.
Peu importe où se situe notre opinion dans ce dossier, à partir du moment où on admet que la professeure n’avait aucune intention malveillante, il est devenu évident qu’elle subit un tort considérable. Plus grand que celui qu’elle aurait elle-même fait subir ? Fort probablement.
Et je cite :
« À voir ce qui se passe à l’Université d’Ottawa, les vrais racistes doivent se bidonner, quand même… »
Frédéric Bérard, journaliste, auteur et conférencier, le 20 octobre 2020
Dans le cours d’univers social
Les sensibilités exprimées dans le cadre de l’affaire Lieutenant-Duval reflèteraient une situation vécue de plus en plus dans les institutions québécoises de haut savoir. Dans sa chronique d’hier à l’émission Tout un matin, le journaliste Paul Journet a fait état d’une série de témoignages reçus de professeurs ayant dû composer avec des étudiants mécontents de certains propos.
Parmi eux, une professeure qui prétend avoir été interrompue par un étudiant se présentant comme queer chaque fois qu’elle prononçait le mot homme ou le mot femme. L’étudiant en question serait même venu un jour perturber le cours avec des étudiants non inscrits. La professeure aurait finalement décidé d’arrêter de le donner.
Les dérives et débordements demeurent exception. Il faudrait s’assurer qu’il en reste ainsi. Le cas contraire annoncerait des années pénibles pour la profession. Le débat doit être mené rapidement.
Dans le cours d’éthique et culture religieuse
Conflans-Sainte-Honorine, France, le 6 octobre 2020. Dans un collège où il enseigne à des élèves de 14 et 15 ans, Samuel Paty donne un cours sur la liberté d’expression et montre en classe des caricatures du prophète Mahomet. Un père mécontent diffuse sur Internet le nom et plusieurs autres renseignements personnels de Samuel Paty. Le jeu du téléphone fait en sorte que de fausses informations commencent à circuler.
Dix jours plus tard, un ressortissant tchétchène issu d’une autre région de la France se présente dans la localité, paie des élèves pour qu’ils lui indiquent qui est Samuel Paty, suit ce dernier, le poignarde et le décapite.
Je pose une question : qu’est-ce qui laissera les plus grandes séquelles psychologiques chez les élèves, le fait d’avoir vu des caricatures de Mahomet, ou le fait de savoir leur professeur assassiné puis décapité ?
Et je cite :
« Quand un homme perd tragiquement la vie parce qu’il répand la lumière, c’est que la barbarie enténèbre de plus en plus d’esprits. D’où l’urgence de diffuser la lumière. »
Bernard Pivot, le 17 octobre 2020
Jouons avec les mots
Alors, avez-vous réussi à rassembler une dizaine de mots ne rimant avec aucun nom commun en langue française ? C’est le cas de belge, goinfre, larve, meurtre, monstre, pauvre, quatorze, quinze, simple et triomphe.
Cette semaine, nous jouons surtout avec les lettres. Dans le mot eau, on ne prononce aucune des lettres. C’est l’assemblage des trois voyelles qui donne le son [o] au mot. La question de cette semaine, quel est le plus long mot de la langue française dont on ne prononce aucune des lettres ?
Réponse dans mon billet de vendredi prochain !
Dans le cours de musique
Lauréat en 2019 du Festival international de la chanson de Granby, c’est dans les rues du Vieux-Québec que le musicien Philippe Gagné, durant sept années, a d’abord fait connaître son art. C’est à la pièce qu’il lance depuis ses chansons. La dernière en lice, que je vous propose cette semaine en #musiquebleue, c’est Instababe, dans laquelle il dénonce la recherche de vedettariat instantané sur les réseaux sociaux (« Parle-moi pas si t’es pas une Instababe »).
À travers un son R&B acoustique à la fois chaud et rafraîchissant, c’est sous le pseudonyme le.Panda que Philippe Gagné a choisi de se faire connaître et de présenter son matériel. Il s’inscrit parmi mes coups de coeur de la dernière année. (le.Panda sur Bandcamp)
La bonne nouvelle de cette semaine
Aujourd’hui, je laisse parler Hubert Reeves qui, à 88 ans, n’a rien perdu de sa verve. Il y a trois ans, le magazine Québec Science le qualifiait d’optimiste lucide. Aucune autre expression ne saurait si bien décrire celui qui, malgré des prises de position alarmistes quant au traitement réservé à la nature, n’a jamais perdu foi en l’humanité.
Il se livre en vidéo à un testament rempli d’espoir devant la force de la nature et celle des humains, dans un contexte de collectivité avec tous les êtres vivants. Le groupe post-rock français Bravery in Battle l’accompagne en musique dans cet enregistrement. Permettez-vous cette pause méditative de cinq minutes pour bien démarrer la fin de semaine.
Une réflexion sur “Billet du 23 octobre 2020 : Je suis prof”