Depuis les derniers jours, Elon Musk et Donald Trump s’affrontent publiquement dans une querelle aussi bruyante qu’absurde. Menaces, accusations, chantage politique : les réseaux sociaux se régalent. Mais si on prenait un pas de recul, non pas politique, mais neuroscientifique, que nous diraient les spécialistes du cerveau humain sur cette joute d’ego ?
Quand un adulte puissant réagit avec impulsivité, menace ceux qui le contredisent ou lance des rumeurs pour se venger, ce n’est pas seulement un style. Pour plusieurs experts du développement humain, c’est souvent le signe que certaines structures du cerveau fonctionnent en mode archaïque, comme chez l’enfant.
Le docteur Daniel Goleman, spécialiste de l’intelligence émotionnelle, parle de « détournement amygdalien ». En gros : quand une émotion forte est déclenchée (humiliation, peur de perdre le contrôle), le cerveau rationnel se déconnecte. C’est alors l’amygdale, une vieille structure liée aux réactions de survie, qui prend le volant. Est-ce qu’on peut imaginer Trump ou Musk dans ce genre d’état lorsqu’ils publient leurs tweets les plus explosifs ? On serait tenté de le croire.
Le cortex préfrontal, lui, est censé tempérer tout ça. C’est lui qui nous aide à réfléchir, à prévoir les conséquences de nos actes, à freiner nos impulsions. Chez certains, cette partie du cerveau agit comme un bon conseiller. Chez d’autres, elle est parfois débordée par les émotions. Et c’est là que ça dérape. Le psychiatre Daniel Siegel rappelle qu’on peut être adulte biologiquement, sans l’être émotionnellement. Réagir comme un adolescent frustré à la moindre critique, ce n’est pas une preuve de puissance : c’est un signe d’un cerveau qui n’a pas fini de se réguler.
Des chercheurs comme Catherine Gueguen ou Gordon Neufeld insistent : la manière dont on a été aimé, écouté et sécurisé dans l’enfance joue un rôle clé dans la maturité émotionnelle adulte. Quand cette base est fragile, on peut passer sa vie à chercher à prouver sa valeur, à contrôler les autres ou à fuir la moindre remise en question. Et si, derrière les milliards de Musk et le pouvoir de Trump, il y avait simplement deux enfants blessés, mal équipés pour gérer le désaccord et l’impuissance ?
Ce que nous montrent ces deux hommes, c’est une forme d’immaturité déguisée en leadership. Ils ont beau être célèbres, riches et influents, leurs réactions ressemblent parfois plus à une bataille de cour de récréation qu’à un débat d’hommes d’État.
La bonne nouvelle, c’est que le cerveau conserve sa plasticité toute la vie. La mauvaise, c’est que ni Twitter ni Truth Social ne sont reconnus comme milieux favorables à son développement.
Pratiquer l’histoire
Dans un épisode récent de la série Le dessous des images, diffusée sur ARTE, la journaliste Sonia Devillers s’attaque à ce qui pourrait sembler être une lubie bureaucratique : la suppression massive d’archives photo par l’administration Trump. Mais derrière ce nettoyage numérique, on parle de plus de 100 000 images visées, se cache une entreprise bien plus inquiétante : l’effacement systématique de contenus liés à la diversité, à l’équité et à l’inclusion. C’est ainsi que des photographies de femmes militaires, de soldats afro-américains ou même du mythique bombardier Enola Gay (dont le nom contient malencontreusement le mot « gay ») se retrouvent à disparaître des bases de données publiques.
Ce n’est pas un simple excès de zèle. C’est une stratégie. En éliminant les traces visuelles d’une armée plus représentative, plus inclusive, Trump tente de restaurer un récit rétrograde : celui d’une Amérique militaire blanche, masculine, unifiée et mythifiée. Ce récit n’a jamais existé, mais il fonctionne à merveille dans un programme politique nostalgique. Pas besoin de réécrire l’histoire quand on peut simplement la purger.
On pourrait croire à une mauvaise blague algorithmique. Ce serait oublier que l’histoire est aussi un champ de bataille. Et que, dans ce champ, les archives sont des munitions. Staline effaçait ses ennemis des photos. Trump efface des décennies d’évolution sociale des serveurs fédéraux. Même combat. Et même nécessité de rester, plus que jamais, aux aguets.
C’est ici que les institutions éducatives, les musées, les journalistes, ainsi que nous tous, entrons en scène. Car si un gouvernement peut effacer des images, il ne peut pas effacer toutes les mémoires. Encore faut-il les entretenir, les transmettre, les confronter. Le danger ne réside pas seulement dans ce qui disparaît, mais dans ce que nous cessons de chercher, de nommer, de raconter. L’histoire, comme la démocratie, exige qu’on la pratique. Et parfois, qu’on la défende activement contre l’oubli organisé. Dans cette lutte pour la mémoire, l’intelligence collective reste notre meilleure arme : une conscience partagée, tissée d’expériences, de débats et de vigilance. L’intelligence artificielle, elle, peut nous épauler, à condition qu’elle soit au service de cette mémoire commune, et non d’un pouvoir qui cherche à la formater. Sinon, elle ne sera pas un outil de savoir, mais un complice de l’oubli.
Dans mes écouteurs
Originaire de Montréal, DanyJo s’impose comme une figure montante de la scène francophone avec son nouvel EP Trop d’histoires, lancé le 5 juin au Quai des Brumes. Après avoir exploré des sonorités pop et chanson dans L’antre nos deux oreilles (2023), il revient avec un projet résolument rock, teinté d’une poésie viscérale et attachante. Ce mini-album de six titres offre une immersion dans un univers musical riche et personnel.
Parmi les morceaux, Bob Dylan XII se distingue par son hommage subtil au légendaire auteur-compositeur américain. Avec des arrangements épurés et des paroles empreintes de réflexion, cette chanson reflète l’influence de Dylan sur DanyJo, tout en affirmant sa propre voix artistique. C’est une pièce qui incarne parfaitement l’essence du microalbum : une fusion entre tradition et modernité, portée par une sincérité désarmante. La voici.
Les bonnes nouvelles de cette semaine
Il arrive que la reconnaissance vienne d’un peu plus loin que prévu. L’écrivain et journaliste Michel Jean a été fait chevalier de l’Ordre des Arts et des Lettres de la République française, un honneur rarement accordé à un Québécois, et encore plus exceptionnel pour un membre des Premiers Peuples. La distinction salue l’ensemble de son œuvre littéraire, ancrée dans la mémoire innue, ainsi que son engagement pour une représentation plus juste et humaine des Autochtones dans l’espace médiatique. Une reconnaissance internationale aussi touchante que significative.
Pendant ce temps, sur un tout autre terrain, Luguentz Dort et Bennedict Mathurin font eux aussi rayonner le Québec, cette fois sur la scène de la NBA. Leurs équipes respectives, le Thunder d’Oklahoma City et les Pacers de l’Indiana, s’affronteront en finale du championnat. C’est une première : deux joueurs québécois dans deux équipes finalistes au basketball. Pour un sport encore marginal il n’y a pas si longtemps au Québec, c’est un signe fort de progression, et un rappel que le talent d’ici peut atteindre les plus hauts sommets.
Deux bonnes nouvelles, donc, qui nous rappellent qu’il est possible de se rendre loin sans renier d’où l’on vient. Que ce soit en maniant la plume ou le ballon, ces parcours inspirants tracent des trajectoires lumineuses et donnent envie, l’espace d’un instant, de croire que l’élan d’un peuple peut se jouer sur tous les terrains.


