Je suis un enseignant.
J’aurais pu être directeur d’école, mais non. Parce que je suis un enseignant. J’ai un jour considéré devenir conseiller pédagogique, car je trouvais que les classes manquaient de ressources et d’outils. J’ai cependant préféré demeurer avec mes élèves parce que je suis un enseignant.
Je passe une partie de mes fins de semaine et de mes vacances à bâtir du nouveau matériel et à m’informer sur les nouveaux courants pédagogiques. Je le fais comme le font la majorité des enseignants, parce qu’un enseignant ne se contente pas d’être un enseignant. Un enseignant veut toujours demeurer un bon enseignant.
Bien que je ne dispose d’aucune autre certification, mes expériences professionnelles ont fait de moi un médiateur, un travailleur social, un infirmier, un psychologue, un auteur, un concepteur, un comédien, un gestionnaire tous azimuts. Mes collègues le savent bien, ils vivent la même réalité. Pour tous les autres, je suis un enseignant.
Être enseignant, ce n’est pas avoir la vocation, comme plusieurs se plaisent à le penser. Être enseignant, c’est avoir la flamme. Comme n’importe quelle flamme, plus on la nourrit, plus elle monte. Depuis une vingtaine d’années, les différents gouvernements qui se sont succédé ont pris des décisions qui nous ont imposé plus de tâches de gestion et plus d’évaluations, réduisant d’autant notre temps d’enseignement. Nous sommes des enseignants. Moins on enseigne, moins la flamme est nourrie, plus elle diminue. Le gouvernement actuel s’affaire à éteindre ce qu’il en reste.
Je suis un enseignant et j’entreprends une cinquième semaine sans enseigner. La flamme s’est transformée en flemme. Je suis accablé d’une inquiétante paresse physique et intellectuelle qui me plonge dans un état ne s’apparentant à rien de ce que je ressens durant mes semaines de vacances. Il y a une semaine, je me suis ouvert à quelques collègues sur ma situation. Ils m’ont tous, sans exception, affirmé ressentir la même chose. Rassurant ? D’un point de vue personnel, oui. Professionnellement, non, au contraire. Nous sommes des enseignants.
Le choix d’aller en grève nous appartenait. Il importe néanmoins de préciser que nous sommes sans convention collective depuis mars dernier et que malgré notre grève, le gouvernement ne démontre aucun empressement à négocier. Ajoutons à cela que plusieurs éléments importants étaient restés en suspens lors des dernières discussions, en raison de la COVID. Parmi ces éléments, on trouve la composition des classes, que nous avions accepté de reporter aux présentes négociations, malgré l’urgence de la situation. L’important était d’avancer et de rattraper le temps que la pandémie nous avait fait perdre. Nous sommes des professionnels de l’enseignement.
La grève des enseignantes et enseignants affiliés à la FAE entre dans sa cinquième semaine. Elle est déjà la plus longue jamais vécue par l’État québécois. Jusqu’à quand se poursuivra-t-elle ? François Legault répète depuis plus de dix ans que l’éducation est sa priorité. Si c’était le cas, nous serions en classe actuellement. Vingt jours de grève, parce que c’est là où nous en sommes, c’est un dixième de l’année scolaire. Même durant la pandémie, les élèves n’en avaient pas perdu autant. Nous étions passés en enseignement à distance après deux semaines.
Ce gouvernement, dirigé par des gens d’affaires (la tentation était forte d’écrire des hommes d’affaires), gère le Québec comme s’il s’agissait de son entreprise. Les élèves ne sont pas une clientèle qu’on peut se permettre de négliger temporairement dans l’espoir de mieux la servir par la suite. Et les employés de l’État sont ceux de l’État, pas ceux de la CAQ. La responsabilité de les garder mobilisés incombe cependant aux élus et aux hauts fonctionnaires.
Je suis un enseignant qui n’enseigne plus. Et plus la situation se prolonge, plus j’ai tendance à me démobiliser. Cette semaine, une de mes élèves m’a écrit. Elle m’a rappelé qu’en septembre, j’avais mentionné au groupe que je leur parlerais de quelque chose en particulier lorsque nous serions rendus en décembre. Ma flamme s’est nourrie par cette seule intervention. Je lui ai répondu que je me mettais sur-le-champ à la réalisation d’une capsule vidéo. La petite a prévenu d’autres élèves de la classe et me l’a fait savoir. La flamme brûle. Ne le dites pas à mon syndicat, mais ça fait deux jours que je travaille sur cette capsule que je déposerai plus tard aujourd’hui sur une plateforme numérique.
Il n’y a aucun doute, je suis un enseignant.
En #musiquebleue
Encore une pièce de Noël, encore a cappella. Il y a quelques années, j’ai découvert la version de la chanson The 12 Days of Christmas par le groupe américain Straight No Chaser. Version drôle et surprenante, s’il en est une.
De ce côté-ci de la frontière, le duo Deux gars, plein d’voix en ont fait une adaptation. La voici.
La bonne nouvelle de cette semaine
Il est délicat d’écrire ici tous les détails, mais les élans de générosité et de solidarité de la population envers le personnel scolaire en grève sont dignes de mention. À petite échelle, dans nos entourages immédiats, les exemples sont nombreux. Les invitations à souper, le partage de nourriture, les prêts d’argent à long terme et sans intérêt constituent des éléments fréquents et nombreux chez les collègues.
Les initiatives de groupes ou régionales apportent également leur lot d’aide précieuse. À ce sujet, il y aura de nouvelles collectes et distributions à plusieurs endroits, le samedi 23 décembre.
Finalement, je me dois de souligner l’apport des très nombreux commerçants qui, sur les lignes de piquetage, ont souvent et spontanément démontré leur soutien. De façon plus personnelle, pour tout ce qui a été offert à mes collègues et à moi durant notre seule sortie de jeudi, je tiens à remercier Barbies resto bar grill, les Marchés TAU, ainsi que les restaurants Starbucks.
Grève rime avec trêve. Je souhaite que pour les deux prochaines semaines, les rapprochements familiaux et amicaux constituent notre seule source de préoccupations. Pour celles et ceux qui fêteront Noël, je vous le souhaite joyeux et festif.


