Chaque hiver, la même magie opère. Un camion passe, pousse la neige, et sans qu’on ait besoin d’un décret ni d’un comité, une cathédrale blanche apparaît dans la cour d’école. Une butte. Une vraie. Le seul module de jeu qui se construit tout seul, version québécoise, édition limitée, avec garantie « fondue » au printemps. Et voilà qu’on nous annonce que, pour laisser les élèves y jouer, il faudra désormais sortir le ruban à mesurer. Pas pour un projet de rénovation. Pour une butte de neige.
On peut déjà imaginer la scène : la neige tombe, les élèves rêvent, et l’école, elle, se retrouve à gérer des pourcentages de pente, des zones de remontée, des inspections, des registres, des plans de surveillance, des consignes, des rotations. Une butte n’est pas sans risques, bien sûr, mais il se trouve des risques partout et de toutes les natures, y compris dans ce qu’on croit parfaitement « encadré ». Autrement dit, on transforme un plaisir spontané et saisonnier en activité sous protocole. Et comme souvent, la conséquence la plus probable n’est pas l’application parfaite de la mesure, mais l’abandon pur et simple : trop lourd, trop risqué, trop compliqué. Résultat net : une cour plus ennuyeuse, une récréation plus grise, et des élèves privés d’un des rares plaisirs d’hiver qui ne coûte rien.
Et pendant qu’on ajoute cette couche de gestion, on oublie un autre morceau du casse-tête, beaucoup plus terre-à-terre : les obligations de prévention des chutes, qui concernent aussi les adultes. Sur le terrain, cela veut souvent dire des crampons sous les bottes à l’extérieur tant que la neige ou la glace rendent le sol glissant, puis des crampons à retirer dès l’entrée pour ne pas abîmer les planchers. Ça a l’air banal, mentionné comme ça, mais c’est un rituel de plus, une contrainte de plus, une responsabilité de plus, répété le matin, midi, après-midi, jour après jour. La sécurité, bien sûr. Mais à force d’empiler des règles sur ce qui devrait rester simple, on finit par sacrifier, au nom de la prudence, ce qui donnait à l’hiver sa part de plaisir et de légèreté.
Dans mes écouteurs
Aurons-nous un Noël blanc, cette année ? Il semble que oui. Je plonge donc dans mes plus lointains souvenirs d’enfance pour vous proposer la version de ce classique du percussionniste et chef d’orchestre d’origine montréalaise, Herman Apple.
Il n’y a rien de tel qu’un Noël blanc pour alimenter les buttes de neige dans les cours des écoles !
Herman Apple – Noël blanc – Fantaisie de Noël – #musiquebleue
La bonne nouvelle de cette semaine
Le 18 décembre, la mairesse de Montréal, Soraya Martinez Ferrada, a annoncé avoir dépassé l’objectif promis, soit 530 nouvelles places en haltes-chaleur, qui s’ajoutent aux 2 472 déjà prévues par le réseau de la santé, pour près de 3 000 places au total sur l’île. Ce n’est pas qu’un chiffre, c’est autant de nuits où l’on réduit concrètement le risque de voir des gens affronter le grand froid dehors. Et derrière l’annonce, il y a quelque chose de franchement réconfortant : une mobilisation citoyenne remarquable, des Montréalaises et des Montréalais qui donnent manteaux, matériel, et même des locaux. Quand une ville se serre les coudes, cela finit par se voir et, surtout, par se sentir.
Et l’espoir ne s’arrête pas à l’urgence de l’hiver. À peine quelques jours plus tôt, les gouvernements du Canada et du Québec, la Ville de Montréal et le Fonds de solidarité FTQ confirmaient le financement de cinq projets d’habitation communautaire totalisant plus de 100 nouveaux logements, portés par des organismes qui connaissent le terrain, dont la Mission Old Brewery et la Maison St-Dominique. On parle ici de milieux de vie pensés pour reconstruire, avec du soutien et de l’accompagnement, pas seulement pour dépanner. Un projet comme Saint-André ajoutera 32 nouvelles chambres dès mars 2026, ce qui représente 32 parcours de vie appelés à retrouver dignité et stabilité. Dans le fond, la bonne nouvelle, c’est peut-être cela : Montréal qui répond à l’itinérance avec deux mains à la fois, une pour réchauffer ce soir et l’autre pour rebâtir demain.
À toutes et à tous, un très heureux temps des Fêtes !
L’image qui accompagne ce billet a été générée par l’intelligence artificielle générative.
On apprend que, dans certaines écoles secondaires du Québec, le bulletin de 4e année du primaire est désormais utilisé comme critère de sélection à l’entrée du secondaire.1 Quatrième année. Des enfants de 9 ou 10 ans. On ne parle plus ici d’un simple outil d’observation, mais bien d’un premier filtre. D’un avant-goût de classement. D’une décision qui, dans certains cas, pèsera plus lourd que bien des efforts ultérieurs.
Officiellement, on invoque une « meilleure lecture du parcours », une « vidéo plutôt qu’une photo ». L’image est séduisante. Elle donne l’impression qu’on agit pour mieux comprendre l’élève et pour mieux l’accompagner. Mais derrière ce vernis rassurant se dessine une réalité plus brutale. La sélection scolaire commence de plus en plus tôt, et avec elle, le stress, l’angoisse de performance et la peur de ne pas être à la hauteur dès le primaire.
Cette pratique, de plus en plus répandue dans le réseau privé, n’est pas sans effet sur l’ensemble du système. Elle alimente directement la logique de l’école à trois vitesses. À ceux qui performent tôt, et dont les familles ont souvent les moyens de payer, les écoles privées, les programmes particuliers et les parcours valorisés. Aux autres, le régulier, avec ce que cela suppose parfois de portes qui se referment plus vite que prévu. Loin d’atténuer les inégalités, cette mécanique contribue à les organiser, les stabiliser et les rendre plus précoces.
Dans son livre Séparés mais égaux2, Christophe Allaire Sévigny rappelle que cette ségrégation scolaire n’est pas seulement un problème du présent. Elle constitue une hypothèque lourde sur l’avenir. En séparant les élèves tôt, on fragmente la société de demain. On affaiblit la mixité sociale. On creuse les écarts. On prépare non seulement des parcours scolaires inégaux, mais aussi une cohésion sociale plus fragile et une démocratie plus vulnérable.
Le recours au bulletin de 4e année devient ainsi un geste administratif en apparence banal, mais qui agit comme un puissant levier de tri social précoce, dont les effets dépasseront largement les murs de l’école.
On pourra toujours dire qu’il ne s’agit que d’un critère parmi d’autres. Peut-être. Mais quand on commence à trier à 9 ans, il faut avoir le courage de regarder plus loin que le prochain bulletin. Quelle école sommes-nous en train de bâtir, et quelle société sommes-nous en train de préparer ?
2 Allaire Sévigny, C. (2025). Séparés mais égaux. Enquête sur la ségrégation scolaire au Québec. Lux Éditeur.
Dans mes écouteurs
Artiste québécois d’origine marocaine, à la fois humoriste, rappeur et auteur, Adib Alkhalidey propose avec Plexus lunaire un album à l’univers planant, où se croisent hip-hop, rock et jazz. L’album explore avec lucidité et poésie des thèmes comme la transformation personnelle, l’amour, la guerre et la survie, à travers des pièces marquantes, confirmant pleinement son identité musicale engagée et sensible.
Voici la pièce Là où la vie est belle.
Adib Alkhalidey – Là où la vie est belle – Plexus lunaire – #musiquebleue
La bonne nouvelle de cette semaine
La nature nous fait un clin d’œil et il sent le sous-bois. On apprend que des chercheurs québécois utilisent des champignons pour dépolluer des sols, de l’eau et même du bois imbibé de substances toxiques. Grâce à leur impressionnant réseau de filaments appelé le mycélium et à leur remarquable capacité enzymatique, certains champignons peuvent dégrader des hydrocarbures, des pesticides, certains explosifs et même des produits pharmaceutiques. D’autres agissent comme de véritables éponges écologiques en stockant les métaux lourds. Oui, parfois, sauver la planète commence tout simplement par laisser pousser des champignons.
Mieux encore, du côté de la Côte-Nord, une expérience a permis d’isoler plus d’une centaine de souches de champignons sur du bois de traverses de chemin de fer que l’on croyait complètement stérile. Une véritable explosion de vie là où on ne l’attendait plus. Certes, la mycoremédiation demande de la patience et de la prudence, mais elle est plus douce pour l’environnement, moins coûteuse et porteuse d’avenir. Il s’agit d’une solution qui pousse lentement, mais sûrement. Comme quoi, même sous nos pieds, l’espoir est déjà en train de germer.
L'image qui accompagne ce billet a été générée par l'intelligence artificielle.
Il y a des figures qui nous rappellent qu’on peut avancer autrement, loin des sentiers balisés et des promesses faciles. Sabrina Gonzalez Pasterski fait partie de celles-là. Née en 1993 à Chicago de parents cubano-américains, elle n’a que seize ans lorsqu’elle pilote l’avion qu’elle a elle-même assemblé, pièce par pièce, dans le garage familial. À un âge où la plupart cherchent encore leur place, elle trace déjà la sienne. Elle poursuit ensuite ses études au MIT, une université reconnue mondialement pour l’excellence de ses programmes en sciences et en ingénierie. Elle y impressionne autant par sa rigueur que par sa curiosité insatiable. Pendant que les grandes entreprises technologiques multiplient les invitations pour attirer les jeunes talents, elle choisit plutôt la lenteur réflexive de la recherche fondamentale. Dans une époque qui confond trop souvent vitesse et réussite, elle rappelle que comprendre exige du temps.
Ce qui me touche chez elle ne tient pas seulement à sa précocité ou à son intelligence rare. C’est sa façon de résister calmement aux attentes et aux pressions du monde extérieur. D’après un reportage du Time Magazine publié en 2018, Jeff Bezos lui aurait offert une possibilité de carrière au sein de Blue Origin. Et selon les informations rapportées par Wikipédia, la NASA lui aurait manifesté un intérêt similaire. Beaucoup, à sa place, auraient accepté ces propositions prestigieuses. Elle, non. À seulement trente-deux ans, elle continue de privilégier sa liberté intellectuelle et de consacrer son énergie à des questions aussi complexes que la gravité quantique. Ce choix m’inspire profondément. Il me rappelle ces élèves qui, malgré la pression de performer, conservent leur curiosité intacte. Il me fait aussi penser à ces enseignants qui s’efforcent de créer des environnements où les jeunes peuvent réfléchir autrement et plus profondément.
C’est précisément là que mon travail sur la motivation naturelle trouve un écho. L’autonomie, la compétence et le sentiment d’appartenance, trois notions qui orientent ma réflexion depuis des années, guident également mon parcours de maîtrise. Ces idées se révèlent dans des trajectoires comme celle de Sabrina Pasterski. Elle progresse parce qu’elle choisit son chemin, parce qu’elle se sait capable, et parce qu’elle évolue dans un milieu qui encourage sa curiosité au lieu de la restreindre. Au fond, elle nous rappelle que la motivation ne s’impose pas. Elle se nourrit et s’entretient. Et on grandit réellement lorsqu’on demeure fidèle à ce qui nous anime, malgré tout ce qui nous entoure.
Dans mes écouteurs
Le quatuor a cappella QW4RTZ, reconnu pour ses harmonies impeccables, son humour et ses performances inventives, revient avec Trip de trad, un album qui revisite le répertoire traditionnel québécois avec fraîcheur et audace. En dix titres dynamiques, le groupe dépoussière des classiques comme Dondaine la Ridaine et J’entends le moulin, réinventant le folklore à quatre voix sans jamais trahir son essence. Il en résulte un projet court, vibrant et profondément ancré dans notre patrimoine musical.
En souvenir de La Bonne Chanson et de mes années d’études primaires, voici J’entends le moulin.
QW4RTZ – J’entends le moulin – Trip de trad – #musiquebleue
La bonne nouvelle de cette semaine
Un vent de fierté souffle sur la Montérégie. Grâce à l’organisme d’économie sociale Alternative Aliment-Terre, plus d’une tonne de citrouilles ont été sauvées du gaspillage et redirigées vers la chaîne alimentaire. Dans toute la région du Richelieu, des citoyennes et citoyens ont déposé leurs cucurbitacées d’après-Halloween dans des points de collecte, ce qui a permis à l’équipe, menée avec énergie par Emmanuelle Aubry et Sylvie Leclair, de leur offrir une véritable deuxième vie. Certaines seront transformées en cubes congelés, d’autres deviendront purée, tartes ou encore sauces surprenantes. Résultat : moins de gaspillage, plus de nourriture locale et un bel élan collectif pour l’environnement.
Encore plus réjouissant, la participation ne cesse de croître. En trois ans, le projet est passé de six à quatorze municipalités, et les quantités récoltées ont presque triplé. Ce mouvement citoyen montre qu’avec un peu d’organisation, beaucoup de cœur et un camion bien rempli, il est possible de transformer un geste simple comme recycler une citrouille en un impact réel pour la communauté. C’est une belle preuve que l’économie circulaire peut être savoureuse et profondément inspirante.
Il m’aura fallu des décennies pour réaliser un rêve d’enfance : assister à un match de la Série mondiale de baseball. Le vendredi 24 octobre, dès les premières lueurs du jour, j’ai pris la route vers Toronto avec mon fils, le cœur battant et la voiture chargée d’excitation. J’avais réussi à mettre la main sur une paire de billets pour le tout premier match entre les Dodgers et les Blue Jays, au Rogers Centre. L’ambiance y était électrique : une mer de bleu, un dôme vibrant, et cette impression d’assister à un moment d’histoire. Ce soir-là, les Jays ont offert un spectacle à la hauteur de la ferveur du public, remportant la partie de façon convaincante, à la surprise de plusieurs observateurs qui prédisaient une victoire expéditive des Dodgers en quatre matchs.
Pendant deux semaines, plus rien d’autre n’a semblé exister pour les amateurs de baseball. Chaque manche, chaque lancer, chaque glissement devenait une émotion brute, un mélange d’adrénaline et de nostalgie. La série a tenu toutes ses promesses : du suspense, des revirements et cette impression que tout pouvait basculer à chaque frappe. Les Blue Jays ont résisté, match après match, forçant une ultime confrontation qui s’est rendue jusqu’à la onzième manche du septième match. Et puis, le silence : un coup de circuit de Will Smith propulsant les Dodgers vers la victoire et laissant tout un pays sans voix, à un cheveu de la gloire.
Cette fois-là, j’étais dans mon salon, devant le téléviseur, avec ma femme et mon fils. Ma fille, trop nerveuse, était remontée dans sa chambre avant la fin. Et quand la balle de Smith a franchi la clôture, j’ai senti la même douleur sportive qu’en 1981, lors du circuit de Rick Monday qui avait éliminé les Expos. Quarante-quatre ans plus tard, l’histoire se répétait, différente et pourtant si familière. Mais entre les gradins de Toronto et le confort du salon, une chose n’avait pas changé : la magie du baseball, ce lien invisible qui unit les générations et fait vibrer le cœur d’enfant qui sommeille encore en moi.
Un peu d’art et d’histoire
Un récent épisode de l’émission Infoman a évoqué le nom de Fifi D’Orsay, une actrice québécoise du siècle dernier que je ne connaissais pas. Et pourtant. Née Marie-Rose Angelina Yvonne Lussier à Montréal le 16 avril 1904, cette fille du Québec a nourri dès sa jeunesse le rêve de devenir actrice. Animée par une audace peu commune, elle a quitté sa province pour New York, où elle a décroché un premier rôle dans The Greenwich Village Follies, après avoir charmé le directeur du cabaret avec sa version de Yes! We Have No Bananas. Pour se donner une allure d’artiste parisienne, elle s’est fait passer pour une Française ayant travaillé aux Folies Bergère et a adopté le pseudonyme de « Mademoiselle Fifi », un geste de marketing avant l’heure qui l’a propulsée sur les scènes du vaudeville américain.
Son charme et son accent français l’ont menée ensuite à Hollywood, où elle a ajouté « D’Orsay » à son prénom de scène et a incarné la « fille légère » typique du Gay Paris dans plusieurs productions des années 1930. Elle a partagé l’écran avec Bing Crosby et Buster Crabbe, et bien qu’elle ne soit pas devenue une vedette majeure, elle est demeurée une figure reconnaissable du cinéma et du music-hall. Fidèle à sa passion, elle a poursuivi une carrière soutenue entre cinéma, théâtre et télévision jusqu’à un âge avancé, reprenant même la scène à 67 ans dans la comédie musicale Follies à Broadway, récompensée par de nombreux Tony Awards. Fifi D’Orsay est décédée à Los Angeles en 1983, laissant derrière elle le parcours d’une pionnière qui, partie de Montréal avec un rêve et beaucoup d’audace, a su faire rayonner un peu du Québec dans l’univers étincelant du cinéma américain.
Dans mes écouteurs
Avec sa nouvelle chanson J’aime comment tu bouges, parue le 24 octobre dernier, Claude Bégin rappelle qu’il est l’un des artistes les plus créatifs et imprévisibles de la scène québécoise. Ce morceau, né spontanément « sur sa terrasse », mêle pop, électro et sons urbains, captant même les bruits de la ville pour leur donner une texture brute et vivante. À travers des paroles simples mais évocatrices, Bégin évoque le mouvement, la dualité et la fascination, des thèmes récurrents dans son œuvre. Le titre agit comme un avant-goût d’un album annoncé pour 2026, déjà attendu. Fidèle à son approche autodidacte, Claude Bégin signe ici une pièce vibrante qui fait autant danser le corps que réfléchir l’esprit, une preuve supplémentaire qu’au Québec, la musique peut être à la fois libre, audacieuse et profondément humaine.
Claude Bégin – J’aime comment tu bouges – #musiquebleue
La bonne nouvelle de cette semaine
Le Québec a trouvé une façon géniale de célébrer sa saison la plus emblématique : il transforme l’hiver en thérapie naturelle . Avec sa nouvelle campagne intitulée Winterapy, Bonjour Québec invite le monde entier à venir profiter des joies de la saison froide, du ski aux bains nordiques, en passant par le chocolat chaud et la bonne humeur, en redécouvrant l’hiver comme une source de bien-être et d’énergie. Plutôt que de le subir, on l’apprivoise. Cette vision positive s’accorde parfaitement avec ma philosophie éducative : apprendre à voir le beau, à cultiver la résilience et à faire de chaque expérience une occasion de grandir.
Et si cette Winterapy inspirait aussi nos écoles ? Après tout, quoi de mieux qu’une promenade en plein air, une classe dehors ou une activité artistique inspirée de la neige pour raviver la curiosité des élèves ? L’hiver devient alors un laboratoire vivant : on y explore la science du froid, la beauté des cristaux de glace ou encore la force du travail d’équipe lors d’un projet collectif dans la cour d’école. Un peu de Winterapy, c’est aussi un rappel précieux : le bien-être et la motivation passent souvent par le mouvement, la nature et la joie partagée.
Durant trois jours cette semaine, les résidents de Blainville et de Sainte-Thérèse ont dû faire bouillir leur eau avant de la consommer. La raison ? Le niveau anormalement bas de la rivière des Mille-Îles, au point où il n’était plus possible de maintenir une quantité minimale de chlore dans le réseau d’aqueduc. À certains endroits, la rivière semble avoir disparu : un lit de boue, quelques flaques d’eau isolées, des poissons prisonniers du néant. Des résidents âgés affirment n’avoir jamais vu la rivière aussi basse de toute leur vie. Le décor qu’on admire habituellement pour ses reflets argentés et ses hérons tranquilles s’est soudain mué en paysage d’alerte. L’eau, ce fil invisible qui relie la vie, la santé et le quotidien a rappelé sa fragilité. Ce qui paraissait acquis ne l’est plus.
Cette scène, pourtant locale, résume à elle seule l’ampleur du problème. Le dérèglement climatique ne se mesure plus seulement en degrés, mais en gestes quotidiens : faire bouillir l’eau, éviter les feux à ciel ouvert, surveiller les restrictions d’arrosage. Dans une entrevue récente, David Suzuki rappelait que l’humanité a déjà franchi sept des neuf « limites planétaires » identifiées par la science, celles qu’il ne fallait surtout pas dépasser. 1« Nous devrions être terrifiés si nous dépassons une seule de ces limites », dit-il, en appelant à des « mesures héroïques » d’ici cinq ans. Il parle de limites planétaires, mais elles se traduisent ici par des rivières à sec, des forêts surchauffées, des sols épuisés. Le monde ne s’effondre pas d’un seul coup : il s’effrite par petites fissures, si fines qu’on ne les remarque que lorsqu’elles atteignent nos robinets.
Ce n’est donc pas seulement la rivière qui s’assèche : c’est aussi la patience collective. David Suzuki croit que l’espoir réside désormais dans les collectivités locales, celles qui refusent de se taire, qui se mobilisent, qui exigent transparence et cohérence. Peut-être que le salut viendra de ces citoyens ordinaires qui observent, documentent, échangent et refusent de croire que tout est déjà perdu. Ce ne sont plus des militants au sens traditionnel du terme, mais des gens qui ont compris que la défense du vivant commence au coin de leur rue. Pendant que l’eau perd sa transparence, c’est à nous de retrouver la nôtre, avant qu’elle ne devienne définitivement trouble.
Il aurait fallu lire Les premières livraisons, le nom livraisons donnant son genre et son nombre au déterminant et à l’adjectif numéral. Le titre a fini par être corrigé, mais plus d’une journée après sa parution.
Dans mes écouteurs
En mai dernier, Stéphane Archambault lançait son premier album solo, Point. Si le son et le rythme s’avèrent plus pop que la musique traditionnelle québécoise qui l’a fait connaître, on y retrouve quand même la poésie et quelques effluves harmoniques de Mes Aïeux, dont il demeure le chanteur.
Voici la pièce Point tournant.
Stéphane Archambault – Point tournant – Point – #musiquebleue
La bonne nouvelle de cette semaine
Parfois, la vie tient à un souffle, et ce souffle revient grâce à cinq paires de mains tendues. Le 22 août dernier, sur un terrain de balle-molle de Brossard, le lanceur François Fleury, 66 ans, s’est effondré, victime d’un arrêt cardiaque. Pendant onze longues minutes, cinq personnes — Pier-Alexandre, Cloé, Vanessa, Katerina et Gabriel — ont uni leurs forces pour refuser l’inacceptable. Tandis que les uns pompaient le cœur de François à bras nus, Gabriel courait, forçant par miracle la seule porte d’une école pour trouver un défibrillateur. Une décharge plus tard, le cœur de François repartait. Ce soir-là, la partie s’était arrêtée, mais l’esprit d’équipe, lui, n’avait jamais été aussi fort.
Quelques semaines plus tard, les héros se sont retrouvés sur le même terrain, les yeux pleins d’émotion et le cœur plus grand que jamais. François a remercié, ému, ceux qui lui avaient rendu la vie. Aujourd’hui, il parle de nature, de sa famille, de son chien Ballou et de la joie simple de respirer. Sa leçon tient en une phrase : « Quand tu es en bonne santé, tu es millionnaire. » Cette histoire n’est pas seulement celle d’une résurrection, mais celle d’une humanité qui persiste : altruiste, coopérative et tissée serré, comme une équipe qui refuse de perdre.
Dans la tourmente actuelle autour du langage inclusif, le gouvernement du Québec a tranché : dans ses communications officielles, il n’y aura plus de place pour iel, toustes ou tout autre néologisme du genre. On bannit également les points médians et autres doublets abrégés, comme étudiant·e·s, agent.e.s ou encore administrateur/trice. Ces formes, de plus en plus visibles dans certains courriels ou documents administratifs, avaient pour but de refléter la diversité des identités de genre et de donner une visibilité équitable aux hommes et aux femmes, voire à ceux qui ne se reconnaissent ni dans l’un ni dans l’autre. Désormais, l’État exigera la rédaction dite « épicène », qui consiste à utiliser des termes neutres (le personnel, le lectorat) ou à énoncer les deux formes binaires (les étudiants et les étudiantes).
En apparence, il s’agit d’une simple question de clarté linguistique. Le ministre de la Langue française, Jean-François Roberge, dit vouloir « mettre fin à la confusion » que provoqueraient ces nouvelles façons d’écrire. Mais derrière l’argument grammatical se cache un choix beaucoup plus large : celui d’établir une limite claire. Peu importe l’évolution des usages dans la société, les communications publiques ne reconnaîtront désormais que deux genres, le masculin et le féminin. C’est une manière de dire que, dans l’univers administratif, la non-binarité linguistique, et donc symbolique, n’existe pas. Cette posture contraste fortement avec l’ouverture que l’on retrouve dans d’autres sphères : des dictionnaires comme le Petit Robert ont déjà intégré iel, plusieurs universités québécoises — Laval, Sherbrooke, Montréal — offrent des guides de rédaction inclusive, et des établissements francophones ailleurs dans le monde, de Genève à Bruxelles, s’y engagent progressivement pour refléter les réalités de leurs communautés.1
Et c’est là que se trouve le véritable enjeu. Au-delà des points et des terminaisons, la décision gouvernementale a une portée identitaire. Dans un contexte où le Québec débat intensément des identités de genre, l’État ne se contente pas de fixer des règles de rédaction : il prend position en affirmant qu’il n’existe officiellement que deux genres, le masculin et le féminin. En matière de langue, l’impact est considérable : les mots choisis (ou interdits) orientent la manière dont on conçoit la réalité. Ainsi, au moment même où plusieurs cherchent à ouvrir la langue pour inclure toutes les diversités, le gouvernement ferme la porte en institutionnalisant une vision binaire du monde. C’est au mieux ramer à contre-courant, au pire reculer.
Quand les conseils d’établissement ont été créés, en 1998, plusieurs observateurs se demandaient bien ce que ça donnerait. On confiait à des parents et à des membres de la communauté des pouvoirs jugés, à l’époque, un peu trop grands pour des gens qui « ne connaissaient pas vraiment l’éducation ». Or, presque trente ans plus tard, le conseil d’établissement de l’école aux Quatre Vents, à Mont-Laurier, a trouvé une façon bien concrète d’exercer ce pouvoir : refuser d’adopter le budget de l’école, histoire de protester contre le sous-financement chronique en éducation.
C’est alors que la scène prend un air de comédie administrative. Le Centre de services scolaire des Hautes-Laurentides, héritier direct des anciennes commissions scolaires, a dégainé l’artillerie lourde : une mise en demeure envoyée à ces parents bénévoles réunis autour d’une table d’école primaire. On imagine presque la scène : des mamans et des papas, stylo à la main, recevant une lettre pleine de formulations juridiques parce qu’ils ont dit… non.
Et c’est là que réside toute l’incongruité : une structure mise en place par le gouvernement pour donner du pouvoir aux citoyens finit par être muselée par ce même gouvernement, via ses centres de services scolaires. On voulait de la participation, on récolte de la dissidence; on voulait rapprocher les parents des décisions, et on leur envoie plutôt un avis légal. De quoi sourire, certes, mais un sourire teinté d’absurde, celui qu’on esquisse quand l’arroseur est arrosé.
Et je cite :
« 15 ans. Un hoodie, un sac à dos, une main au mauvais endroit au mauvais moment. Fini. Pas une balle, deux balles. La « construction de l’autre », menaçant et qui ne veut pas notre bien, ça a aussi des conséquences tragiques comme celle-là.
Qui a appelé la police pour des jeunes qui vivaient leurs vies de jeunes?
Hier, un enfant est mort, parce qu’il n’avait pas la bonne face ni la bonne couleur de peau pour survivre. J’extrapole? « Il faut attendre le résultat de l’enquête. »
Taser? Attente de la certitude que cet ENFANT EST ARMÉ?
15 ans. Un enfant, un sac à dos, une main au mauvais endroit au mauvais moment.
Le policier qui a tiré n’a pas encore de nom, mais a déjà droit à toutes les justifications.
Protéger et servir? Profiler et punir.
C’est quand qu’on va où? Really? »
– Josiane Cossette, écrivaine et journaliste, le 23 septembre 2025.
Dans mes écouteurs
Bobby Bazini nous arrive avec un cinquième album, un premier en français. Changement de langue et changement de style. Plus pop, moins country, plus jazz, moins blues, avec des notes électroniques donnant dans le psychédélique, accompagnées d’instruments acoustiques.
Cet album s’intitule Seul au cinéma et regroupe neuf pièces s’inscrivant toutes dans la thématique. Celle que je vous propose d’écouter s’appelle Rouler en août.
Bobby Bazini – Rouler en août – Seul au cinéme – #musique bleue
La bonne nouvelle de cette semaine
À Montréal, l’idée de reverdir la ville pour contrer les îlots de chaleur et rendre les quartiers plus agréables à vivre fait son chemin depuis plusieurs années. Et voilà que Paris s’en inspire directement : quatre forêts urbaines sont en train de voir le jour dans la capitale française, avec un objectif de 170 000 arbres plantés d’ici le printemps prochain. On transforme même des rues passantes en ruelles piétonnières verdoyantes, où les habitants redécouvrent le plaisir de marcher à l’ombre.
Ce qui rend la nouvelle encore plus réjouissante, c’est la portée de l’initiative. Les arbres ne sont pas que décoratifs : ils peuvent abaisser la température de la ville de 4 à 8 degrés, purifier l’air et améliorer la santé physique et mentale des citoyens. En d’autres mots, l’exemple de Montréal voyage et inspire des gestes concrets qui rendent les villes plus vertes, plus humaines et mieux préparées aux défis climatiques. Voilà une fierté à partager, et un bel espoir pour l’avenir.
Si les États-Unis avaient investi, il y a plusieurs décennies, dans un système d’éducation réellement accessible, équitable et ambitieux, Donald Trump n’aurait probablement pas été élu président. L’histoire récente le montre cruellement : un gouvernement qui souhaite contrôler son peuple commence souvent par l’affaiblir intellectuellement, en décourageant l’esprit critique et en sous-finançant l’école publique. Car une population moins instruite est plus facile à diviser, à manipuler et à distraire.
Cette dynamique est bien connue : qui contrôle l’éducation contrôle les esprits. Ce n’est donc pas un hasard si les régimes autoritaires s’attaquent souvent à l’école avant de museler complètement les médias.
L’histoire en regorge d’exemples : l’Allemagne nazie d’Adolf Hitler a d’abord transformé les programmes scolaires et enrôlé la jeunesse dans la Hitlerjugend avant de prendre le contrôle total de la presse ; l’Union soviétique de Joseph Staline a façonné le « nouvel homme soviétique » dès les bancs d’école via la Jeunesse communiste (Komsomol) ; la Chine de Mao Zedong, pendant la Révolution culturelle, a purgé les enseignants et remplacé les cours par l’endoctrinement ; plus récemment, la Turquie de Recep Tayyip Erdoğan a commencé par réécrire les manuels scolaires avant de museler la presse critique.
Parce que l’école touche tous les enfants et captive leur attention pendant des années, la mainmise sur l’éducation est le moyen le plus efficace de remodeler durablement une société à l’image du régime.
Et ce phénomène ne se limite plus aux régimes autoritaires. Des démocraties réputées stables empruntent aujourd’hui le même sentier glissant. Aux États-Unis, plusieurs États ont entrepris de réécrire leurs manuels scolaires pour les aligner sur une vision idéologique :
en Floride, sous l’impulsion du gouverneur Ron DeSantis, des manuels d’histoire minimisent l’esclavage et censurent les questions de racisme ou d’identité de genre ;
au Texas, certains contenus ont été modifiés pour atténuer les violences de la ségrégation et présenter l’Holocauste de façon « équilibrée » ;
ailleurs, comme en Oklahoma ou au Tennessee, on impose désormais aux enseignants de ne pas évoquer le racisme systémique ni les privilèges liés à la race.
Même au Canada, la province de l’Alberta vient récemment de retirer des bibliothèques scolaires plusieurs livres jugés « controversés ». On ne nie pas les faits : on les édulcore, on les relativise ou on les passe sous silence, pour fabriquer un récit plus confortable. Un récit qui rassure, mais qui appauvrit la pensée.
Et si, sans même s’en rendre compte, le Québec était tranquillement en train d’emprunter cette voie ?
Cette semaine, le vice-président de Debout pour l’école, Jean Trudelle, publiait dans Le Devoir une lettre d’opinion qui sonnait l’alarme : « changer de ministre sans changer de philosophie ne mènera nulle part. » Il y rappelait les mots du regretté sociologue Guy Rocher, qui disait avoir « honte de ce qu’est devenu le système scolaire au Québec ». 1
Dans ce texte, Trudelle décrivait une école à trois vitesses qui accentue les inégalités sociales, une explosion du nombre d’élèves à besoins particuliers sans les ressources suffisantes pour les soutenir, une pénurie d’enseignants masquée par l’embauche massive de personnes non qualifiées et une approche comptable centrée sur les taux de réussite plutôt que sur la qualité réelle des apprentissages.
Il soutenait que remplacer Bernard Drainville par Sonia LeBel ne changerait rien si la philosophie de gestion restait la même.
Cette gestion à courte vue de l’éducation publique n’est pas neutre, ajoutait Trudelle. Laisser l’éducation se décatir à petit feu, c’est courir à la catastrophe. C’est exactement ce qui s’est produit aux États-Unis, avec les conséquences sociales et politiques que l’on connaît.
Lorsque l’on accepte :
que des milliers d’enfants soient privés de services essentiels,
que l’on distribue des diplômes sans que les bases soient réellement maîtrisées,
que les inégalités deviennent structurelles,
on crée peu à peu les conditions d’une société plus docile, moins exigeante envers ses dirigeants, plus vulnérable aux discours simplistes et populistes.
Et pendant que le réseau public d’éducation se fragilise, un phénomène intrigant se manifeste : le soutien à l’option indépendantiste progresse rapidement chez les 18 à 34 ans, selon plusieurs sondages récents. On peut bien sûr y voir un regain de nationalisme, mais je crois qu’il s’agit de tout autre chose. Ces jeunes — qui sont pourtant les enfants de la mondialisation, du métissage culturel et de l’hyperconnectivité — ne réclament pas tant un pays qu’un projet. Un cap collectif. Une idée mobilisatrice capable de donner un sens à leurs efforts et à leur participation démocratique.
Aucun projet de société digne de ce nom n’a émergé ici depuis la Révolution tranquille. Depuis des décennies, la politique québécoise carbure aux petits calculs budgétaires, aux réformes cosmétiques et aux promesses rabotées à la mesure des sondages. Pendant ce temps, on a cessé de nourrir ce qui rend une société vivante : la vision, l’éducation, la culture, la créativité, le courage de rêver grand.
Et quand l’école publique elle-même se vide de son souffle, quand elle cesse d’être le lieu où l’on prépare l’avenir ensemble, comment s’étonner que les jeunes cherchent ailleurs ce que leurs institutions ne leur donnent plus ?
Investir dans l’éducation publique n’est pas un luxe : c’est un rempart contre l’autoritarisme, l’ignorance et la manipulation. Tant que les gouvernements traiteront l’école comme un simple poste budgétaire, et non comme un pilier démocratique, les dérives continueront.
Parce qu’affaiblir l’école, c’est préparer le terrain aux démagogues. Si nous laissons s’éteindre l’éducation publique, nous ouvrirons toute grande la porte à ceux qui rêvent d’un peuple docile et d’un pouvoir sans contrepoids.
Peut-être serait-il temps, comme le propose Trudelle, de convoquer de véritables États généraux sur l’éducation et de redonner la parole à celles et ceux qui vivent l’école au quotidien. Car c’est aussi là que se joue notre avenir démocratique.
Décédé la semaine dernière, Guy Rocher laisse derrière lui un vide immense et une œuvre magistrale. Je voue à ce sociologue québécois une profonde admiration. Artisan discret de la Révolution tranquille, dernier survivant de la commission Parent qui nous a donné le ministère de l’Éducation, il a su conjuguer rigueur intellectuelle et grande humanité. Par ses écrits limpides et ses interventions toujours mesurées, il nous rappelait que penser la société n’est pas un geste neutre, mais un acte de responsabilité. Il portait en lui cette rare alliance de lucidité et d’espérance, de mémoire et de vision. Alors que sa voix s’éteint, son œuvre, je l’espère, continuera de résonner comme une invitation à comprendre pour mieux transformer.
Dans mes écouteurs
Belle surprise pour moi, alors que Michel Rivard nous donne en avant-goût deux des treize pistes qui composeront son nouvel album, Après, on va où ?, qui sortira le 31 octobre prochain. Sublime, la pièce Magnolia magnolia constitue en quelque sorte son testament musical. Les paroles, la mélodie, les orchestrations, tout dans cette chanson se laisse savourer. Pour en compléter la poésie, mentionnons que le magnolia offre une magnifique floraison qui ne dure qu’une dizaine de jours, au printemps.
Michel Rivard – Magnolia magnolia – Après, on va où ? – #musiquebleue
La bonne nouvelle de cette semaine
À 18 ans, Ludovic Tamaro a reçu un diagnostic brutal : une leucémie myéloïde aiguë qui ne lui laissait que deux petites années devant lui. Six ans plus tard, il rayonne de santé grâce à un traitement expérimental mis au point à Montréal par l’hématologue Guy Sauvageau et la chercheuse Anne Marinier. Cette thérapie cellulaire novatrice, baptisée UM171, utilise des cellules souches provenant du sang de cordons ombilicaux pour reconfigurer la moelle osseuse et redonner vie au système sanguin.
Aujourd’hui étudiant en psychologie et de retour sur les terrains de soccer, Ludovic savoure chaque instant et rêve déjà à une future maîtrise. Il est reconnaissant envers toutes les mamans qui ont donné leur cordon, rappelant que leur geste a sauvé sa vie. Son histoire, empreinte de courage et d’espoir, illustre merveilleusement la puissance de la science et de la solidarité humaine : quand elles unissent leurs forces, même les pronostics les plus sombres peuvent être renversés.
Des chercheurs australiens de passage au Canada sont repartis avec une conviction claire : le système d’éducation ontarien les inspire, mais le Québec leur apparaît comme un exemple à ne pas suivre.1 Leur critique cible notre structure scolaire à trois vitesses — public régulier, public sélectif et privé subventionné — qui concentre les élèves vulnérables dans certaines écoles.
Ce miroir tendu par l’étranger dérange, parce qu’il reflète ce que beaucoup d’enseignants et de directions savent déjà. Plus la sélection s’installe, plus les classes ordinaires se retrouvent avec une concentration d’élèves en difficulté. Sur papier, on vante la liberté de choix. En pratique, on crée des inégalités qui minent l’équité scolaire. Et quand l’État continue de subventionner le secteur privé, à hauteur de 60 % du montant versé pour un élève dans le réseau public, il contribue directement à accentuer cette ségrégation.
Il suffit d’entrer dans une salle de classe pour comprendre l’impact concret de ce système. Dans un même groupe, certains élèves dévorent déjà des romans tandis que d’autres peinent encore à lire une phrase simple. D’un côté, des jeunes qui réussissent haut la main, de l’autre, des élèves qui cumulent difficultés d’apprentissage et défis liés au milieu de vie. Pour l’enseignant, cela signifie une gestion quotidienne d’écarts immenses. On appelle ça la différenciation pédagogique. Mais il faut être lucide : plus on concentre les vulnérabilités dans certaines écoles, plus la tâche des enseignants devient colossale. L’équité, dans ces conditions, n’est pas seulement un principe difficile à atteindre ; elle devient un combat quotidien.
Heureusement, dans nos écoles, il existe une formidable inventivité. Enseignement explicite, pédagogies actives, travail collaboratif avec les TES et les orthopédagogues : autant de moyens pour tenter de rétablir un certain équilibre. J’ai vu des enseignants bâtir des projets qui embarquent toute une classe, du plus fort au plus fragile. J’ai vu des équipes-écoles développer une véritable culture de solidarité. Ces efforts sont réels, mais ils reposent sur les épaules de celles et ceux qui, chaque matin, se retrouvent devant leurs élèves. Ils permettent d’atténuer les effets d’un système inéquitable, sans pour autant en corriger les causes.
Le rapport australien n’apporte peut-être rien de nouveau pour ceux qui vivent déjà ces réalités, mais il nous force à nous regarder autrement. Et la question demeure : si l’on juge de la qualité d’un système scolaire à la manière dont il traite ses élèves les plus vulnérables, quel reflet voulons-nous que le Québec projette ?
Parce qu’au fond, la vraie question n’est pas de savoir si notre système est à deux, trois ou quatre vitesses. La vraie question est de savoir si tous nos jeunes montent dans le même autobus, ou si certains sont condamnés à marcher, voire à rester sur le bord de la route. Et pendant que l’on finance à même les fonds publics des écoles qui sélectionnent leurs élèves, il faut avoir l’honnêteté d’admettre que ce choix collectif trace lui-même les lignes de l’injustice.
Mes billets hebdomadaires ont commencé tout juste avant le confinement, en février 2020. J’ai maintenu le rythme d’une publication chaque vendredi durant les trois premières années, avant de prendre l’habitude de ralentir durant mes vacances estivales et de publier une semaine sur deux en juillet et août.
Cet automne, je maintiendrai le rythme quinzomadaire repris cet été. Il en sera ainsi au moins jusqu’en janvier 2026. C’est que je poursuis et entreprends à la fois d’autres projets professionnels qui, combinés à mon travail de conseiller pédagogique, me laisseront très peu de temps pour la tenue d’un blogue hebdomadaire.
Écrire demeure pour moi un espace de liberté et de respiration. Même si le rythme ralentit, je continuerai à y revenir avec plaisir, comme on retrouve un ami cher, pour partager mes réflexions et mes découvertes.
Dans mes écouteurs
Annie Bélanger, auteure-compositrice-interprète québécoise, propose avec Tombée des nues un univers mêlant folk et pop moderne. Ses textes introspectifs, empreints de vulnérabilité et de résilience, s’appuient sur des arrangements acoustiques et des mélodies enveloppantes qui mettent en valeur une voix sensible et sincère.
À seulement 13 ans, la jeune Écossaise Rebecca Young vient d’entrer dans le prestigieux top 10 du magazine Time grâce à une invention aussi ingénieuse qu’altruiste : un sac à dos solaire capable d’alimenter une couverture chauffante pour les personnes sans-abri. Né d’un simple projet scolaire, son concept a séduit bien au-delà de sa classe : il a déjà remporté un prix national d’ingénierie et permis la distribution de dizaines de prototypes à Glasgow. Son idée, née de l’envie de protéger les plus vulnérables du froid glacial, démontre que même la créativité d’une adolescente peut se transformer en solution concrète et salvatrice.
Au-delà de la prouesse technique, ce qui frappe, c’est le message d’espoir que Rebecca envoie : il n’y a pas d’âge pour agir et changer le monde. Soutenue par l’entreprise Thales, elle voit aujourd’hui son invention se multiplier, avec 120 nouveaux modèles en fabrication. En intégrant la première liste des Girls of the Year aux côtés d’artistes et d’athlètes internationales, elle incarne une génération qui ose allier innovation et solidarité. Voilà une nouvelle inspirante qui nous rappelle que l’avenir s’éclaire non seulement grâce à la technologie, mais aussi grâce à l’immense générosité des jeunes.
Un ami, professeur dans une université québécoise, m’a confié que, selon lui, quelqu’un qui a beaucoup souffert, par exemple une victime de guerre, est presque incapable d’empathie. Cette affirmation m’a intrigué. L’empathie, comme le rappelle le psychologue Paul Bloom, n’est pas un bloc uniforme : elle se décline en empathie cognitive, soit la capacité de comprendre ce que vit l’autre, et en empathie affective, c’est-à-dire la faculté de ressentir une émotion en écho à la sienne.1 Ces deux formes ne vont pas toujours de pair, et chacune peut être sélective ou biaisée selon les circonstances et les personnes. Le traumatisme peut affaiblir l’une, les deux… ou, paradoxalement, les renforcer.
En creusant la question, j’ai découvert que de grandes souffrances peuvent mener à des trajectoires très différentes. Chez certaines personnes, la douleur vécue s’accompagne d’un retrait émotionnel : pour survivre, on se coupe des émotions, y compris de celles qui permettent de se connecter aux autres. Chez d’autres, au contraire, l’expérience du malheur développe une sensibilité accrue à la détresse d’autrui, surtout si elles ont bénéficié de soutien. Rien n’est figé : l’état psychologique du moment, le contexte social et le récit que l’on fait de son histoire peuvent faire évoluer la capacité empathique, à la hausse comme à la baisse.
Cette réflexion m’a amené jusqu’à la scène internationale, et plus particulièrement à Benjamin Netanyahou. Comprendre sa dureté envers Gaza ne se limite pas à analyser la politique du jour. La mémoire collective de l’Holocauste, transmise de génération en génération, a forgé chez le peuple juif une vigilance extrême face aux menaces perçues. Comme l’explique le chercheur Daniel Bar-Tal, cette mémoire « entretient une vision persistante du monde où l’ennemi est perçu comme inchangeable et malveillant ».2 Chez certains dirigeants, cette vigilance s’accompagne d’une empathie très forte pour leur propre camp et d’une empathie réduite pour ceux vus comme ennemis. C’est ainsi que l’histoire, le traumatisme et la psychologie se mêlent, influençant non seulement les émotions, mais aussi les décisions les plus lourdes de conséquences. Comme celles qui se traduisent par des frappes sur Gaza et par la souffrance de milliers d’innocents.
1Bloom, P. (2016). Against empathy: The case for rational compassion. Ecco.
2Bar-Tal, D. (2018). Conflits internes insolubles : Fondements et dynamiques socio-psychologiques (M. Borraccino, trad.). Éditions Science et Bien Commun. (Ouvrage original publié en 2013 sous le titre Intractable conflicts: Socio-psychological foundations and dynamics).
Dans mes écouteurs
Une aube est un duo montréalais composé d’une harpiste, Éveline Grégoire-Rousseau, ainsi que d’un producteur de musique électronique, Antoine Bédard. L’album instrumental Galets, sorti cette semaine, constitue son premier opus. Avec un style très nouvel âge, les comparaisons avec la musique de Vangelis sont inévitables.
Voici la pièce Il pleut des abeilles.
Une aube – Il pleut des abeilles – Galets – #musiquebleue
La bonne nouvelle de cette semaine
Cette semaine, une belle histoire de succès québécois nous vient de Saint-Apollinaire, sur la Rive-Sud de Québec. L’entreprise Ideal Can, spécialisée dans la fabrication de boîtes de conserve, a littéralement explosé sur le marché canadien depuis le début de la guerre commerciale entre le Canada et les États-Unis. Grâce à une stratégie bien pensée et à une qualité de production irréprochable, la petite usine a triplé son chiffre d’affaires et augmenté sa production de trois fois et demie, tout en se taillant une place enviable en Ontario, un marché qui lui était jusque-là inaccessible.
Pour son président-directeur général, Erick Vachon, cette croissance n’est pas un simple feu de paille : elle repose sur des bases solides et s’inscrit dans un mouvement plus large vers l’autosuffisance alimentaire au pays. Profitant d’une exemption partielle des tarifs sur l’acier et d’une proximité géographique avantageuse, Ideal Can est devenue un partenaire incontournable pour de nombreux transformateurs alimentaires. Et au rythme où l’entreprise investit pour accroître encore sa capacité de production, il y a fort à parier que cette belle histoire de résilience et d’ingéniosité québécoise se poursuivra bien au-delà de la crise commerciale actuelle.
J’ai passé de nombreuses années à pratiquer le journalisme. Du journalisme étudiant, d’abord, avant de prendre la responsabilité des publications officielles de plusieurs organisations dans lesquelles j’ai milité. J’ai été propriétaire d’un site d’informations durant quelques années. J’ai aussi fait de la pige pour des journaux hebdomadaires et pour des revues. Je suis par la suite devenu blogueur. Tout ceci m’a amené à collaborer avec de nombreuses personnes. Parmi celles-ci, plusieurs cherchaient à calquer le style de Pierre Foglia.
Il va sans dire que personne ne s’en rapprochait. Vouloir calquer Foglia, c’est comme vouloir calquer Coluche, Yvon Deschamps ou Virginia Woolf. Ils sont tous uniques dans leurs créneaux. Pour s’inscrire dans leur catégorie ou atteindre leur niveau, il faut à la fois présenter son message sous un angle différent des autres et agencer parfaitement les mots pour le communiquer au lectorat ou à l’auditoire. Il demeure très difficile de le faire sans s’y casser les dents ou la pointe de sa plume. Stéphane Laporte et Boucar Diouf y parviennent plutôt bien.
Depuis que j’écris, je n’ai pas cherché à imiter Foglia. Pas par prétention, mais par lucidité. J’aime trop écrire pour le copier. Ce que j’ai plutôt tenté, au fil du temps, c’est de faire entendre ma propre voix, même si elle tremblait un peu. De poser mes mots comme on pose un regard : avec attention, avec justesse, parfois avec tendresse, parfois avec colère. Écrire, c’est un peu risquer le faux pas. Mais c’est aussi, quand on le fait sincèrement, tracer un sentier que d’autres pourront suivre, ou éviter, mais qu’on aura eu le courage d’ouvrir.
Il s’est éteint cette semaine en emportant son œuvre avec lui. Il nous laisse cependant une leçon à retenir : écrire, c’est oser être singulier.
Regard sur le monde
Avec sa décision récente, le Canada emboîtera le pas à la France, à la Grande-Bretagne, à l’Espagne, à l’Irlande et à plusieurs autres pays en reconnaissant officiellement l’existence d’un État palestinien. Ce geste diplomatique, hautement symbolique, s’inscrit dans une longue histoire de tensions, de guerres et de négociations manquées entre Israël et le peuple palestinien. Le conflit israélo-palestinien, vieux de plus de 75 ans, prend racine à la fin du mandat britannique sur la Palestine, un territoire administré par le Royaume-Uni de 1920 à 1948 sous l’égide de la Société des Nations. Lorsque ce mandat a pris fin, l’ONU a proposé un plan de partage entre un État juif et un État arabe, mais celui-ci a été rejeté par les pays arabes, menant à la création unilatérale de l’État d’Israël et à une série de conflits armés. Depuis, les Palestiniens revendiquent leur propre État, notamment en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, territoires qu’ils considèrent comme les leurs.
Ce qui a mené à cette reconnaissance récente repose sur plusieurs facteurs. D’une part, l’impasse persistante dans les négociations de paix a convaincu de nombreux pays qu’un changement d’approche devenait inévitable. D’autre part, les événements tragiques de l’automne 2023 — notamment l’attaque sanglante du Hamas contre des civils israéliens et la riposte militaire israélienne à Gaza — ont ravivé l’attention internationale sur le conflit. Plusieurs gouvernements ont conclu que la reconnaissance d’un État palestinien pourrait contribuer à rééquilibrer une dynamique diplomatique jusque-là asymétrique. Cette reconnaissance, faut-il le souligner, ne vise pas à cautionner le terrorisme, mais bien à soutenir la vision d’un avenir plus viable, où deux peuples pourraient enfin coexister dans des États distincts, chacun doté de droits, de frontières et d’un avenir.
Les avis demeurent partagés. Les partisans de la reconnaissance estiment qu’il s’agit d’un pas en avant pour la paix et la justice, soulignant que des millions de Palestiniens vivent depuis des décennies sans État, sans citoyenneté véritable et souvent sous occupation. Ils espèrent que ce geste contribuera à rouvrir le dialogue. Les opposants, pour leur part, craignent qu’une telle reconnaissance ne récompense pas seulement l’inaction politique des dirigeants palestiniens, mais qu’elle envoie aussi un message ambigu alors que le Hamas demeure actif et que la sécurité d’Israël n’est pas assurée. Pour eux, la reconnaissance doit venir à la fin d’un processus de paix, et non au début. Pour sortir d’une crise, il faut parfois tracer la voie vers ce à quoi certains donnent encore le nom d’utopie, mais que d’autres perçoivent avec prudence, mais avec espoir, comme un point d’équilibre.
Dans mes écouteurs
Argile est un artiste québécois émergent, repéré récemment comme un souffle nouveau de la scène indie-pop francophone. Son mini-album éponyme, Argile, officiellement lancé le 18 juillet dernier, comprend cinq titres soigneusement ordonnancés. L’artiste se distingue par sa voix douce et posée, ainsi que par son sens du détail en matière d’arrangement sonore.
Dans la pièce La recette, deuxième piste de l’album, la narration poétique se développe à partir de gestes quotidiens transformés en métaphores lumineuses. L’instrumentation y mêle guitares aériennes, nappes synthétiques délicates et percussions organiques, renforçant une tension douce entre fragilité et résilience. Tout au long de cette chanson, Argile tisse une recette intérieure, formulée avec des paroles posées, qui relance l’idée que nos routines peuvent devenir des rites sacrés.
La recette – Argile – Argile – #musiquebleue
La bonne nouvelle de cette semaine
Il s’est tenu cette semaine, au Palais des congrès de Montréal, un événement d’envergure mondiale qui donne espoir : le Congrès mondial sur les ITSS et le VIH. Sous le thème « La santé sexuelle pour tous », cette grande rencontre a rassemblé plus de 1 500 expertes et experts de partout sur la planète, venus échanger, réfléchir et proposer des solutions concrètes pour améliorer la prévention, le dépistage et les soins liés aux infections transmissibles sexuellement. Montréal, déjà reconnue pour son engagement en santé publique, a ainsi renforcé son rôle de chef de file en accueillant ce rendez-vous porteur de changement.
Parmi les innovations prometteuses présentées : des tests rapides à domicile, de nouvelles stratégies de prévention comme la PrEP (un traitement préventif qui protège efficacement contre le VIH) et la DoxyPEP (un antibiotique pris peu après un rapport sexuel à risque pour prévenir certaines ITSS, comme la chlamydia, la syphilis et la gonorrhée), ainsi qu’un appel clair à briser les tabous qui freinent encore trop souvent l’accès à l’information et aux soins. Dans un contexte mondial où les reculs sont possibles si l’on baisse la garde, ce congrès nous rappelle qu’il est possible de progresser à condition de miser sur la science, la solidarité et l’éducation. Une semaine lumineuse, donc, où la santé sexuelle a eu droit à toute la visibilité qu’elle mérite.