Billet du 16 mai 2025 : Pelleteux de mots

Chaque printemps, c’est devenu une petite tradition dans mon billet hebdomadaire : faire un détour par les nouveautés du dictionnaire Le Robert. L’édition 2026 vient tout juste d’être dévoilée, avec son lot habituel de mots fraîchement intronisés dans la grande famille du français écrit et reconnu. Plus de 150 ajouts cette année, qui témoignent des grandes préoccupations de notre époque, comme l’intelligence artificielle, les changements sociaux, les mouvements culturels… Et, bien entendu, la vitalité du parler québécois.

Parlant d’ici, deux expressions familières bien de chez nous font une entrée remarquée : pelleteux de nuages et cône orange. La première, nous la connaissons bien : elle désigne celui ou celle qui rêve en couleurs, qui élabore de grands projets irréalistes, voire un brin farfelus. Une expression savoureuse, bien implantée dans notre imaginaire collectif, et qui mérite amplement sa place dans un dictionnaire qui se veut représentatif de toute la francophonie. Quant au cône orange, disons qu’il mériterait à lui seul un chapitre entier dans notre folklore routier. Il symbolise chez nous autant les travaux interminables que la résilience (forcée) des automobilistes québécois. Qu’un objet inanimé et unanimement exaspérant se retrouve désormais dans Le Robert, ça mérite un coup de klaxon.

Mais ce n’est pas tout. Cette année, on sent clairement l’influence des nouvelles technologies : prompter entre officiellement dans le dictionnaire, non pas comme l’appareil qui aide un politicien à réciter son discours, mais comme le fait d’envoyer une requête à une intelligence artificielle (clin d’œil à mes collègues titulaires de classes qui la découvrent en pleine correction de fin d’année). On note aussi hallucination dans son sens numérique, soit une réponse erronée, mais crédible, produite par une IA. Pratique pour comprendre pourquoi votre assistant vocal insiste pour réserver un hôtel à Orange, en France, quand vous demandez des infos sur l’orange de Floride.

Du côté des nouvelles tendances sociales, plusieurs mots évoquent les réalités actuelles : chemsex, justice restaurative, microagression, apprentissage profondLe Robert fait de plus en plus place à des réalités parfois difficiles, mais bien présentes. Et côté gastronomie, l’ouverture sur le monde continue avec l’ajout de zaatar, un mélange d’épices moyen-oriental qui gagne en popularité dans nos assiettes.

Enfin, on remarquera aussi quelques expressions familières qui font leur entrée, dont c’est carré, pour désigner quelque chose de bien organisé ou parfaitement en ordre, ainsi que mon gâté/ma gâtée, des marques d’affection bien connues au Québec, tout autant que dans le Sud de la France. Pas certain que c’est carré réussisse à détrôner notre bon vieux c’est correct, mais ces ajouts rappellent que le français, dans toute sa diversité régionale, est vivant, expressif et profondément enraciné dans les usages quotidiens.

Bref, encore une belle cuvée pour les amoureux du mot juste, du mot nouveau et du mot d’ici. Et si jamais vous êtes vous-même un pelleteux de nuages en quête de reconnaissance, sachez qu’il suffit parfois d’un bon mot et de quelques décennies d’usage populaire, pour entrer dans l’histoire lexicale.


Conseillance pédagogique en français

Sur le site de Radio-Canada :

#LeProfCorrige

Ici, il aurait fallu lire « pilule », et non « pillule ». Cette faute d’orthographe d’usage n’a pas sa raison d’être dans un texte publié sur le site de la société d’État.


Dans mes écouteurs

L’album Bruissement boréal est né de la rencontre entre la flûtiste Marie-Véronique Bourque et ma guitariste chouchou, Christine Tassan. Inspirée par les paysages du Québec et de la Saskatchewan, cette œuvre évoque le silence vibrant des grands espaces et la complicité musicale entre deux artistes à l’univers riche et complémentaire. Entre jazz, musique classique et touches de folk, l’album nous emporte dans un voyage sensoriel aussi apaisant qu’enchanteur.

Voici la pièce Bruissements.

Christine Tassan et Marie-Véronique Bourque – Bruissements – Bruissement boréal – #musiquebleue

La bonne nouvelle de cette semaine

Une grande première vient de se produire dans le monde du baseball canadien : Ayami Sato, une lanceuse japonaise de 35 ans, vient de signer un contrat avec les Maple Leafs de Toronto, une équipe de la ligue semi-professionnelle ontarienne IBL (Intercounty Baseball League). Cette embauche est pourtant lourde de sens : Sato devient la toute première femme à évoluer dans cette ligue réservée jusqu’ici aux hommes. Couronnée à plusieurs reprises meilleure joueuse de baseball féminin au monde, elle ne débarque pas comme une curiosité médiatique, mais bien comme une athlète aguerrie au palmarès impressionnant.

Avec une balle rapide atteignant 80 milles à l’heure et une courbe redoutablement efficace, Sato a mené l’équipe nationale féminine du Japon à cinq championnats mondiaux. Son arrivée au monticule des Maple Leafs dépasse le cadre du sport : elle envoie un signal clair que les frontières du genre peuvent et doivent continuer à s’estomper là où le talent s’impose. Voilà une belle bouffée d’air frais pour les jeunes filles qui rêvent de fouler les losanges du baseball professionnel, ainsi qu’un rappel que les portes fermées ne le restent jamais éternellement.