Billet du 23 mai 2025 : Mémoire sélective

On dit souvent que l’histoire ne se répète pas, mais qu’elle bégaie. Ces derniers mois, alors que les bombardements israéliens sur Gaza ont déplacé plus de deux millions de personnes et tué plus de 50 000 Palestiniens, une question me hante. Ce n’est pas une question de géopolitique, mais de sens : comment un peuple qui a tant souffert peut-il infliger tant de souffrances à un autre, au nom de sa sécurité ?

Je travaille dans un univers où l’on questionne, où l’on cherche à comprendre les causes profondes et les effets durables des gestes humains. J’ai été incité à réfléchir publiquement sur la manière dont cette tragédie reflète notre utilisation collective de la mémoire et notre aptitude à apprendre des événements passés.

Il ne s’agit pas ici de nier les blessures profondes que porte le peuple juif. La Shoah demeure un abîme de douleur dans la conscience humaine : six millions de Juifs assassinés par les nazis, et une tentative méthodique d’anéantissement. Ce drame unique dans l’histoire moderne a forgé une mémoire collective qui devrait servir de rempart moral contre toute forme d’oppression.

Mais aujourd’hui, c’est un autre peuple, les Palestiniens, qui vivent dans la peur, l’exil et le deuil. Ce ne sont pas des abstractions : ce sont des enfants, des femmes, des hommes, des aînés, des familles entières dont les maisons sont rasées, les écoles détruites, les hôpitaux hors service. Ce ne sont pas tous des membres du Hamas, ni même des sympathisants. La majorité n’a pas choisi cette guerre. Elle la subit.

Le 7 octobre 2023, le Hamas a commis des attaques meurtrières contre Israël, tuant des civils, déclenchant une vague bien réelle de douleur et de colère. Ces actes manquent de justification, tout comme la punition collective d’un peuple entier au nom de la sécurité. La riposte d’Israël n’a pas visé uniquement les responsables : elle a frappé indistinctement. Elle a rasé des quartiers entiers. Elle a tué massivement.

Je refuse de confondre un peuple avec son gouvernement ou son armée. Être juif ne signifie pas soutenir les politiques de colonisation ou de bombardement. Être palestinien ne signifie pas adhérer au Hamas. Ce que je défends ici, ce n’est pas un parti pris : c’est l’idée qu’il faut empêcher les abus du présent à l’aide de la mémoire historique, plutôt que de les justifier.

De nombreux Juifs à travers le monde s’élèvent contre ce qui se passe à Gaza. Je pense à Noam Chomsky, intellectuel de renommée mondiale ; à Ilan Pappé, historien israélien qui dénonce depuis des décennies les politiques de domination ; à Breaking the Silence, collectif d’anciens soldats israéliens qui témoignent de la brutalité de l’occupation ; à Gideon Levy, l’un des rares journalistes à relayer la voix des Palestiniens ; à Norman Finkelstein, fils de survivants de la Shoah, qui critique l’instrumentalisation de cette mémoire ; ou encore à Amira Hass, seule journaliste juive israélienne vivant en permanence dans les territoires palestiniens. Ces voix ne parlent pas contre leur peuple : elles parlent pour l’humanité.

À l’opposé, Benyamin Netanyahou, chef d’un gouvernement d’extrême droite et premier ministre à la longévité inégalée, semble avoir oublié que gouverner un peuple blessé n’autorise pas à gouverner sans conscience. Son calcul politique permanent, ses alliances avec les courants les plus extrémistes du sionisme religieux et son mépris ouvert des appels à la retenue ne font pas de lui un gardien de la mémoire juive, mais un artisan actif de l’oubli. Il gouverne comme si la force suffisait à écrire l’histoire. Mais l’histoire, elle, n’oublie jamais.

Certaines des voix critiques que j’ai citées emploient un mot fort, controversé, mais désormais documenté : apartheid. Ce terme, utilisé par des organisations comme Amnesty International, Human Rights Watch, B’Tselem ou Yesh Din, ne renvoie pas ici à une insulte, mais à une définition juridique : un régime d’oppression et de domination systématique d’un groupe sur un autre. Il décrit la coexistence de deux populations vivant sous des lois différentes dans un même territoire. Ce mot ne vise pas à diaboliser, mais à nommer une réalité observable et, surtout, à susciter une responsabilité morale.

La mémoire est un outil puissant. Elle peut éclairer ou aveugler. À nous de choisir ce que nous en faisons : un miroir pour notre conscience, ou un écran pour notre indifférence.


Dans mes écouteurs

Cette semaine, je vous invite à découvrir Plus de fleurs que de fleuve, le premier album de Charlotte Brousseau. L’autrice-compositrice-interprète originaire de Québec propose treize chansons bien construites, à mi-chemin entre folk et chanson contemporaine, avec des arrangements sobres et soignés. On sent l’influence de son parcours en cinéma : chaque pièce évoque une atmosphère, un lieu, un moment. Les textes sont simples, réfléchis, souvent touchants, et portés par une voix posée, sans artifices. Une belle entrée en matière pour une artiste qui mérite d’être suivie.

Voici la pièce Retenir la nuit.

Charlotte Brousseau – Retenir la nuit – Plus de fleurs que de fleuve – #musiquebleue

La bonne nouvelle de cette semaine

Le réalisateur québécois Félix Dufour-Laperrière a franchi une grande étape le 8 mai dernier : son nouveau film La mort n’existe pas a été présenté à la prestigieuse Quinzaine des cinéastes du Festival de Cannes. C’est une première pour cet artiste au style singulier, déjà remarqué avec Ville Neuve et Archipel. Son plus récent long métrage, une coproduction Québec–France, suit Hélène, une militante en rupture qui se retire dans la nature après un attentat raté. Elle y retrouve le spectre d’une ancienne camarade, et avec elle, la nécessité de questionner ses convictions les plus profondes.

Cette sélection à Cannes est une formidable reconnaissance pour le réalisateur, mais aussi un clin d’œil réjouissant à la vitalité du cinéma québécois sur la scène internationale. Voir un créateur d’ici briller sur la Croisette, c’est inspirant et porteur d’espoir. Nos histoires, nos visuels et nos accents résonnent bien au-delà de nos limites territoriales, ce qui est certainement très positif !


Billet du 26 mars 2021 : Au jeu !

Quelle belle expression ! Surtout quand elle exprime la traduction du célèbre Playball !, qui marque le début d’un match de baseball. C’est jeudi prochain, le 1er avril, que le baseball majeur entreprendra sa saison régulière. COVID oblige, les Blue Jays de Toronto joueront leurs joutes locales à Buffalo, afin d’éviter les passages aux douanes. Pour le reste, un certain nombre de spectateurs étant admis dans quelques stades, la prochaine saison de baseball franchira un pas de plus vers la normalité, comparativement à la dernière.

L’amateur de baseball en moi est fébrile. Si vous l’êtes moins, dites-vous que baseball est synonyme d’été. De belles journées arrivent !


Dans le cours de français

C’est le genre de mauvaise surprise qui survient souvent à un bien mauvais moment. Mercredi matin, je suis sorti de chez moi et j’ai rapidement remarqué que ma voiture avait un pneu à plat. Quelqu’un à qui j’ai parlé de ma mésaventure, plus tard en journée, évoquait mon pneu « dessoufflé ».

Un pneu peut-il être dessoufflé ? Eh bien non. Le verbe dessouffler n’est accepté que dans quelques ouvrages de références, mais aucun des plus consultés. Le mot ne se trouve ni dans le Robert, ni dans le Larousse. Il apparaît toutefois dans le Littré.

Même pris à l’inverse de souffler, qui lui existe bel et bien partout, dessouffler un pneu ne constituerait pas une expression correcte. Souffler signifie pousser de l’air par la bouche ou à l’aide d’un souffleur. Quand il s’agit de pousser de l’air dans un objet souple afin d’en augmenter le volume, on parle plutôt de gonfler. Ainsi, un pneu se gonfle et se dégonfle.

Mon pneu était donc dégonflé.


Dans le cours d’éducation physique

L’officiel Tim Peel n’arbitrera plus jamais un match dans la Ligue nationale de hockey. Après 23 ans, l’arbitre a commis une bourde qui lui a valu un congédiement du circuit Bettman. Lors du match de mardi soir entre les Red Wings de Detroit et les Predators de Nashville, un joueur des Red Wings s’est collé sur un joueur des Predators, Viktor Arvidsson, avant de se jeter sur la glace et de balancer son bâton dans les jambes d’un autre joueur des Predators. Sur la séquence, c’est pourtant Arvidsson qui a reçu une pénalité pour avoir fait trébucher. Jusqu’ici, rien de trop particulier. On peut prétendre que l’arbitre en a manqué une, mais l’erreur est humaine.

Le hic, c’est que Peel, qui a décerné la pénalité, semble avoir oublié qu’il portait un micro sur lui et il a prononcé la simple phrase qui lui a valu son renvoi : « Ce n’était pas grand chose, mais je voulais donner une foutue pénalité aux Predators tôt en période ». Bonjour la préméditation. Et au diable l’intégrité de la ligue.

(Voir la séquence et entendre les paroles de Tim Peel)

Je me suis pris à imaginer les mêmes paroles dans la bouche d’une personne en situation d’autorité, dans un autre contexte. Un enseignant dans une classe, par exemple : « L’élève n’a pas fait grand chose, mais depuis le début de la journée, je voulais lui donner une conséquence ».

La LNH a devancé de quelques mois la retraite de Tim Peel, qui était prévue à la fin de la présente saison. C’est une sage décision.


Dans le cours de musique

Comment qualifier les chansons de Charlotte Brousseau ? Sa page Bandcamp évoque le folk-rock. Personnellement, j’y décèle des notes de jazz que j’aime beaucoup. Mais surtout, les paroles de ses chansons méritent d’être écoutées attentivement. C’est en octobre qu’elle lançait son premier mini-album, Boucles. En #musiquebleue, c’est l’extrait Je cours encore vous attendre (ê-haouc) que je propose aujourd’hui. Je vous souhaite une belle découverte.

Charlotte Brousseau – Je cours encore vous attendre (ê-haouc) – Boucles – #musiquebleue

La bonne nouvelle de cette semaine

Il fait beau et la température est agréable. C’est une période de l’année où beaucoup y trouvent leur compte. Le vélo est commencé, même si la saison de ski se poursuit encore quelques semaines. On ouvre les fenêtres, on entend les oiseaux. Peut-être est-il encore trop tôt pour manger dehors, mais on peut facilement s’y installer pour boire un verre.

La nature s’éveille. Un espoir renaît.