Billet du 2 mai 2025 : Dérapages

J’aurais pu titrer mon billet de cette semaine « Quand on crache en l’air, ça nous retombe sur le nez », mais c’eût été trop long. À titre court, histoires courtes. Nos personnalités politiques nous ont fourni du grand matériel en ce sens, au cours des derniers jours.

Un pays artificiel
Le chef du Bloc québécois, Yves-François Blanchet, s’est attiré les foudres des autres chefs de partis en déclarant que le Canada était un pays artificiel, sous prétexte qu’il regroupait des régions avec des problèmes et des besoins différents en un seul centre décisionnel, sa capitale. Ce faisant, monsieur Blanchet a décrit ce qui constitue également la réalité d’à peu près tous les pays d’Europe, la Chine, l’Inde, le Brésil, l’Australie et les États-Unis, pour ne nommer que ceux-là. Ça fait beaucoup de pays artificiels. En passant, ne serait-ce pas aussi vrai pour un Québec indépendant ?

Rabaisser les autres
Quand j’enseignais, j’expliquais souvent à mes élèves qu’on ne se valorise pas en rabaissant les autres. Pierre Poilievre a passé plus de deux ans à tirer à boulets rouges sur Justin Trudeau, à lui imputer tous les problèmes du Canada. Il avait réussi à convaincre les Canadiens et se dirigeait assurément vers le trône de premier ministre, avec une avance de près de 25 points dans les sondages. Mais voilà, Trudeau a décidé de partir, emportant la gale avec lui. Son successeur, Mark Carney, a rapidement déclenché des élections avant qu’on ne puisse lui reprocher quoi que ce soit. Résultat : Poilievre n’est pas premier ministre et n’est même plus député.

Réprimer plutôt qu’éduquer
Le ministre de l’Éducation, Bernard Drainville, a annoncé qu’à partir de septembre, les téléphones mobiles allaient être interdits sur le territoire de toutes les écoles primaires et secondaires, publiques et privées, du Québec. Inciter les élèves à faire autre chose qu’avoir les yeux sur un écran est bien en soi. Toutefois, le règlement ne prévoit aucune mesure parallèle pour contrer la cyberintimidation ou encourager les activités physiques, ludiques ou culturelles, les deux raisons principales du bannissement. On rate ici une belle occasion d’instruire et d’éduquer.

Civisme, avez-vous dit ?
« On veut instaurer une culture du civisme », a dit le ministre Drainville lors de la même conférence de presse, alors qu’il annonçait que tous les élèves devraient maintenant vouvoyer leurs enseignantes et enseignants. Le même jour, un échange peu édifiant impliquant son chef, le premier ministre François Legault, s’est déroulé à l’Assemblée nationale. Celui-ci a insulté à profusion la députation de Québec solidaire, refusant d’obtempérer aux demandes de la présidente, Nathalie Roy, de retirer ses paroles, mais en… vouvoyant les personnes à qui il s’adressait !

Le Journal de Montréal a diffusé un extrait vidéo du manque de civisme de celui qui veut instaurer une culture du civisme.

Rebaptiser Canadian Tire et Winners ?
Durant la même semaine, le ministre de la Langue française, Jean-François Roberge, va à l’encontre de l’ordonnance de l’Office québécois de la langue française en permettant l’affichage du Go ! Habs Go !, mais demande à toutes les bannières commerciales établies au Québec d’afficher leur nom avec une nette prédominance du français.

Laver son linge sale en famille
Il y a longtemps qu’on n’avait pas assisté à une chicane chez les souverainistes québécois. On s’en inquiétait presque. Après que Yves-François Blanchet ait tendu la main à Mark Carney afin de faire fonctionner la Chambre des communes, Paul St-Pierre Plamondon l’a publiquement rabroué en mentionnant que ce n’était pas le rôle des souverainistes de collaborer avec le premier ministre canadien, même dans le contexte des tensions avec l’administration américaine. Les souverainistes ont beau qualifier le Canada de pays artificiel, leurs chicanes intestines sont, elles, 100 % authentiques.


Dans mes écouteurs

Ayelet Rose Gottlieb, chanteuse et compositrice née à Jérusalem et installée à Montréal, évolue à la croisée du jazz, de la poésie et de l’expérimentation sonore. Ses projets, souvent inspirés par des textes anciens ou des expériences personnelles, donnent à la voix un rôle central et expressif. Avec elle, le souffle, le silence et les mots deviennent des matières premières musicales.

De son plus récent album, Dust, voici la pièce Demain dès l’aube.

Ayelet Rose Gottlieb – Demain dès l’aube – Dust – #musiquebleue

La bonne nouvelle de cette semaine

C’est à Québec, dans un ancien presbytère transformé en lieu haut en couleur, que la toute première Maison de la BD a vu le jour au Canada. Ce nouvel espace offre un vibrant hommage à un siècle de création, de l’audace d’Albéric Bourgeois, pionnier du phylactère en 1904, jusqu’aux succès internationaux de Julie Doucet, Denis Rodier et Alex A. Le rez-de-chaussée, en accès libre, regorge de trésors graphiques qui racontent l’évolution de la BD québécoise, depuis les dessins de catéchisme jusqu’à l’émergence d’icônes comme L’Agent Jean.

Mais cette maison n’est pas un musée figé : elle vit au rythme de sa communauté et de ses artistes. Ateliers, lectures, lancements, dessins animés et événements familiaux s’y succéderont dans une programmation dynamique pensée pour tous les publics. En plus de mettre en valeur les talents souvent ignorés ici, mais applaudis à l’étranger, la Maison de la BD vient confirmer la maturité d’un art longtemps considéré comme mineur. Enfin, elle célèbre avec éclat et fierté ce qui nous distingue et ce qui nous unit, un trait de crayon à la fois.


Billet du 28 mars 2025 : Faire bande à part

Les faits :

Il existe des consortiums de médias unis pour offrir une couverture impartiale des débats des chefs lors des élections, tant fédérales que provinciales. Pour les campagnes électorales canadiennes, le consortium est formé des médias suivants :

  1. CBC/Radio-Canada (anglais et français);
  2. CTV (Bell Media);
  3. Global News (Corus Entertainment);
  4. The Toronto Star;
  5. La Presse;
  6. Le Devoir;
  7. APTN (Aboriginal Peoples Television Network);
  8. L’Assemblée de la francophonie de l’Ontario;
  9. La chaîne CPAC (Cable Public Affairs Channel).

Deux autres médias ont déjà fait partie de ce consortium. Le HuffPost Québec, qui a fermé ses portes en 2021, ainsi que le réseau TVA, qui a choisi de quitter le groupe médiatique en 2012 pour faire bande à part et présenter ses propres débats.

Évoquant une situation financière difficile, le réseau TVA a demandé au Parti libéral du Canada (PLC), au Parti conservateur du Canada (PCC), au Nouveau Parti démocratique (NPD) et au Bloc québécois (BQ) de défrayer une partie des coûts de production de son débat 2025, à teneur de 75 000 $ chacun. Trois partis ont accepté, mais le PLC ayant refusé, le débat de TVA n’aura pas lieu.

Ceci a valu à Mark Carney, chef du PLC, d’être qualifié de « fragile et faible » par Pierre Poilievre, et de se faire accuser de « se foutre des Québécois » par Yves-François Blanchet.

Ce que j’en pense :

Carney a bien fait. Louer une table dans un marché de fruits et légumes pour y vendre ses récoltes est une chose. Assumer les frais de production d’un diffuseur qui a choisi de faire bande à part en est une autre.

En fait, je considère qu’aucun chef de parti n’aurait dû accepter. Le précédent aurait sans doute eu ses suites. TVA aurait probablement récidivé lors des élections subséquentes, ce qui aurait assurément fini par créer un malaise avec les autres médias. Et puis, sincèrement, il y a comme une incongruité à payer pour aller débattre.

Je rappelle aussi que cinq partis politiques sont actuellement représentés à la Chambre des communes. TVA n’invitait les chefs que de quatre d’entre eux. Lors des deux débats du consortium, six chefs seront conviés à débattre.

Carney est-il « fragile et faible » en raison de son refus de participer au débat de TVA ? Non. Il sera des deux débats du consortium. Est-ce qu’il « se fout des Québécois » pour la même raison ? Non plus. Les deux débats auxquels il participera se tiendront à Montréal, Québec.


Dans mon cahier de planification

On a parfois tendance à les mettre de côté, mais les émotions sont des actrices clés de l’apprentissage, surtout chez nos jeunes en pleine croissance. Après de belles années passées sur le terrain, j’ai pu constater à quel point la joie et la curiosité peuvent transformer une leçon ordinaire en une véritable aventure intellectuelle. Quand un élève est engagé émotionnellement, son cerveau est plus alerte, plus réceptif, et l’acquisition de nouvelles connaissances se fait de manière beaucoup plus naturelle et durable. À l’inverse, le stress ou l’anxiété peuvent créer des blocages importants, rendant l’apprentissage plus difficile et moins agréable. Un environnement scolaire où l’on se sent en confiance et valorisé est donc essentiel pour favoriser des émotions positives, véritables moteurs de la réussite. Développer son intelligence émotionnelle, c’est-à-dire apprendre à identifier et à gérer ses propres émotions tout en comprenant celles des autres, devient alors une compétence fondamentale qui dépasse largement les murs de la classe.

Intégrer la dimension émotionnelle dans l’enseignement, ce n’est pas juste une question de bien-être, c’est une stratégie d’apprentissage efficace. Proposer des activités variées, encourager l’expression des sentiments et aider les élèves à développer des stratégies d’adaptation émotionnelle contribuent à créer un lien plus profond avec ce qu’ils apprennent. Il faut savoir que nos émotions ont un impact direct sur le fonctionnement de notre cerveau, activant les zones liées à la mémoire et à l’attention. Grâce à la plasticité cérébrale, cette incroyable capacité de notre cerveau à se façonner en fonction de nos expériences, un environnement émotionnellement favorable stimule des connexions neuronales plus fortes et un apprentissage plus profond. En fin de compte, prendre en compte les émotions à l’école, ce n’est pas une option, mais une nécessité pour former des jeunes équilibrés, motivés et prêts à relever les défis de demain.


Dans le cours de musique

Le talentueux duo formé de Catherine Major et Jean-François Moran nous livre enfin leur premier album collaboratif, Bunker à ciel ouvert. Loin d’être un simple projet de couple, cet opus est une véritable immersion dans leur univers intime et créatif. Les mélodies riches et les arrangements soignés de Catherine Major se marient à la perfection aux textes poétiques et profonds de Moran, son complice de longue date et père de ses enfants. Chaque chanson est une fenêtre ouverte sur leur vision du monde. Voici La coda, la pièce d’ouverture de l’album.

Catherine Major et Jean-François Moran – La coda – Bunker à ciel ouvert – #musiquebleue

La bonne nouvelle de cette semaine

Dans la ville pittoresque de Nara, au Japon, un professeur d’art nommé Hirotaka Hamasaki a trouvé une manière unique et inspirante de captiver ses élèves. En utilisant les feuilles mortes aux teintes vives de l’automne, il crée des œuvres d’art représentant des personnages bien-aimés de la culture populaire, tels que Pikachu ou Winnie l’Ourson. Cette initiative artistique non seulement éveille l’intérêt des élèves pour l’art, mais transforme également la salle de classe en un espace de créativité et de collaboration. Les élèves participent activement en suggérant les personnages qu’ils souhaitent voir prendre vie, rendant le processus encore plus amusant et engageant.

Grâce à cette approche innovante, Hirotaka Hamasaki a réussi à créer un environnement d’apprentissage dynamique où l’imagination et l’art se rencontrent. Ses créations, qui apportent une touche de fantaisie et de magie à l’école, ont non seulement gagné l’admiration de ses élèves, mais ont également attiré l’attention de la communauté locale. En intégrant l’art dans le quotidien scolaire de manière aussi ludique et interactive, ce professeur talentueux a su faire de chaque jour une nouvelle aventure artistique, laissant une empreinte durable dans le cœur de ses élèves.

Pour découvrir ses œuvres, visitez son profil Instagram : @hamacream.


Billet du 8 mars 2024 : Pause bénéfique

La relâche scolaire fait du bien ! Elle est trop courte pour être qualifiée de vacances, mais trop longue pour être considérée comme un congé ; toutefois, elle constitue une pause bénéfique tant pour les élèves que pour le personnel des écoles. À moi, elle sert de mise à jour des obligations professionnelles, mais à un rythme plus lent. Elle me permet aussi de gérer quelques affaires personnelles. Mais surtout, elle permet également de m’accorder du temps personnel, du temps trop peu souvent disponible pour accomplir certaines activités durant l’année scolaire.

Instaurée à certains endroits dès les années 1970, ce n’est qu’au début des années 1980 que la semaine de relâche s’est étendue partout au Québec. Ce sont cinq jours de vacances d’été qui ont été déplacés à la fin de l’hiver. C’est la raison pour laquelle la rentrée scolaire commence à la fin du mois d’août plutôt qu’après la fête du Travail, comme c’était le cas auparavant.


Dans le cours d’éthique et culture religieuse

La semaine dernière, la Cour d’appel du Québec a confirmé la validité de la Loi 21, la Loi sur la laïcité de l’État. Dans les heures qui ont suivi, voici ce que le Bloc québécois a publié sur les réseaux sociaux :

Venant d’une formation politique qui se targue depuis toujours de représenter les intérêts des Québécoises et des Québécois, la boutade est indigne, inutilement arrogante, méprisante et condescendante. En manifestant sa satisfaction avec une expression on ne peut plus chrétienne (Alléluia signifie « Louez Dieu »), le Bloc envoie un pied de nez aux tenants des autres religions, comme si on leur confirmait que leurs signes religieux étaient plus dérangeants que ceux qui ont longtemps orné le décor d’un Québec catholique.

Le principe de la laïcité de l’État rallie environ les deux tiers de la population, selon les principaux sondages. S’il s’agit d’une majorité nette, on demeure quand même loin du consensus social. Retenons de plus que le gouvernement québécois a dû recourir à la clause dérogatoire, la fameuse clause « nonobstant », pour adopter sa Loi 21. « Il n’y a rien de nouveau sous le Soleil », rétorquerez-vous peut-être. Pourtant, un précédent a bien été créé ! Parce que jusqu’à l’adoption de cette loi, nos seuls recours à la clause dérogatoire consistaient à nous soustraire à l’application de la Charte canadienne des droits et libertés. Pour la Loi sur la laïcité de l’État, on a également dû, pour la première fois, se soustraire aux articles de la Charte des droits et libertés de la personne, celle-ci adoptée en 1975 par l’Assemblée nationale du Québec. Le gouvernement a ainsi délibérément contrevenu à sa propre charte.

Par cette réaction inconvenante, le Bloc québécois a raté une belle occasion d’agir avec unité et inclusion. Son attitude de crois ou meurs est déplorable.


Dans le cours de musique

Nicolas Boulerice écrit, compose et chante des airs de musique traditionnelle. Avec le groupe Le Vent du Nord, il a produit dix albums. Il en a également produit un en solo, un autre avec deux collaborateurs et deux avec Frédéric Samson.

Frédéric Samson est contrebassiste. De son côté, il a participé à quatre albums de Small World Project, en plus de ses collaborations avec Nicolas Boulerice.

Sorti le 1er mars dernier, CoolTrad constitue le deuxième album des deux collaborateurs. Il regroupe douze titres qui mêlent le chant traditionnel aux airs de jazz et de blues. Le résultat m’a immédiatement séduit. Amateur des trois styles, mais avec un léger penchant vers le blues, j’ai opté cette semaine pour Testament.

Nicolas Boulerice et Frédéric Samson – Testament – CoolTrad – #musiquebleue

La bonne nouvelle de cette semaine

Je vous fais une petite révélation, je suis malentendant. À un faible degré, il est vrai, mais suffisamment pour porter des prothèses auditives. Pour les personnes atteintes d’une surdité totale, il est maintenant possible d’assister à un concert ou d’aller danser. La musique est ressentie… par la peau !

Jay Zimmerman, un musicien ayant perdu l’ouïe lors des attentats du 11 septembre 20011, s’est adjoint des ingénieurs afin de mettre sur pied le projet Music : Not Impossible. Ensemble, ils ont développé une technologie permettant à des personnes sourdes de ressentir la musique à travers leur peau, un peu comme si elle remplaçait les tympans, grâce à des appareils placés aux poignets, aux chevilles et sur le tronc2. Le collectif a organisé un concert auquel des centaines de spectateurs ont assisté. La moitié d’entre eux étaient sourds.

L’expérience s’est avérée concluante : tous ont affirmé l’avoir vécue de la même façon.

1 Jay’s Silent Symphony: When a Musician Goes Deaf (vidéo en anglais)

2 Music: Not Impossible Origin Story (vidéo en anglais)