Billet du 27 juin 2025 : Lettre à Bernard Drainville

Monsieur Drainville,

Lundi dernier, en point de presse tôt le matin, l’exécutif de la Fédération autonome de l’enseignement (FAE) a réclamé votre départ à titre de ministre de l’Éducation. Plus tard en journée, vous leur avez répondu ceci, à partir de votre compte Facebook :

Une réponse courte, à laquelle je n’apporterai aucun autre qualificatif, mais qui suscite chez moi plusieurs éléments de réplique. Je ne sais pas trop par où commencer, alors je vous laisserai m’imposer l’ordre en y allant chronologiquement.

« Je n’ai pas de leçon à recevoir d’un syndicat qui a privé nos enfants d’école pendant 5 semaines de grève et qui utilise l’argent de ses membres pour contester la loi sur la laïcité. »

Vos premiers mots m’incitent à commencer par une boutade. Personne n’est mieux placé que les enseignantes et les enseignants pour donner des leçons. C’est leur travail. Le problème, et vous devez en assumer une part de responsabilité, c’est qu’il s’en trouve de plus en plus pour le faire sans détenir de brevet d’enseignement. Malgré cette lacune importante, vous avez trouvé une façon d’en « qualifier légalement » un grand nombre, avec une manipulation administrative que Radio-Canada a dévoilée, cette semaine. 1

« Je n’ai pas de leçon à recevoir d’un syndicat qui a privé nos enfants d’école pendant 5 semaines de grève et qui utilise l’argent de ses membres pour contester la loi sur la laïcité. »

Dois-je vous rappeler, monsieur Drainville, que ce syndicat bénéficiait d’un vaste appui populaire durant ces cinq semaines de grève ? Malgré ce qu’il leur en coûtait, les familles réalisaient les piètres conditions du système d’éducation dans lequel ils envoient leurs enfants au quotidien. Et c’est au gouvernement, beaucoup plus qu’aux syndicats de l’enseignement, qu’ils en imputaient la responsabilité.

Vous déteniez d’ailleurs le pouvoir de mettre fin à cette grève en tout temps, par une loi spéciale adoptée grâce à votre majorité à l’Assemblée nationale ou par décret. Si vous aviez réellement cru à ce point en la gravité de la situation, j’ose croire que vous l’auriez fait.

« Je n’ai pas de leçon à recevoir d’un syndicat qui a privé nos enfants d’école pendant 5 semaines de grève et qui utilise l’argent de ses membres pour contester la loi sur la laïcité. »

La FAE a été le syndicat qui m’a représenté durant une grande partie de ma carrière. Croyez-moi, je me suis maintes fois opposé à certaines de ses positions. Mais cette fois-ci, j’accueille favorablement sa démarche devant les tribunaux. Je suis entièrement en faveur de la laïcité de l’État. La FAE l’est aussi, du moins en principe. Ce qu’elle conteste, c’est la disposition qui empêche plusieurs de ses membres de porter certains signes religieux au travail. Ces personnes paient des cotisations, comme les autres. Elles ont le droit d’être défendues.

« L’école existe pour nos enfants, nos élèves.
C’est pour eux que je me bats, jour après jour. »

Ici, monsieur Drainville, j’aurais besoin de précisions. Les enseignantes et les enseignants se battent quotidiennement pour leurs élèves. Les professionnels de l’éducation également. Comme les directions d’écoles. Les orthopédagogues, les techniciennes en éducation spécialisée, les aides pédagogiques, le personnel des services de garde, tous ces gens se dévouent pour les élèves. Je le sais, je suis sur le terrain depuis plus de 30 ans.

Vous êtes ministre de l’Éducation depuis près de trois ans. Je cherche encore une situation où je vous aurais vu vous battre à nos côtés. Quand vous affirmez le faire jour après jour, j’aimerais des exemples. Parce que ceux que j’ai en tête vont dans l’autre sens.

Vous avez beau prétendre qu’il n’y a pas de coupes en éducation, il est difficile de vous croire quand les montants précis nous ont été communiqués. Et de refuser de garantir que chaque élève recevra les services éducatifs auxquels il a droit donne plutôt à penser que le camp que vous avez choisi est celui des politiques de votre gouvernement, pas celui des élèves. 2

Les centres de services scolaires, pris en étau entre les directives ministérielles et les compressions budgétaires déguisées, n’ont souvent d’autre choix que de jongler avec les ressources pour limiter les dégâts.

« Je vais continuer. »

Autorisez-moi donc une suggestion : faites-le avec les personnes qui ont réellement une passion pour l’éducation, et non avec celles qui l’évoquent seulement pour des raisons électorales. Et surtout, faites-le sur le terrain. Parce qu’actuellement, l’image que les gens du milieu se forgent de leur ministre reflète la condescendance et la méconnaissance des dossiers. Et quand, au gré de certaines déclarations maladroites, vous les avez heurtés sur leur salaire 3, leur tâche 4 ou leur formation 5, il m’est difficile de les blâmer.

Veuillez agréer, monsieur Drainville, l’expression de mes sentiments distingués.

Jean-Frédéric Martin, pédagogue

1 Bussières McNicoll, F. (2025, 26 juin). Plus d’enseignants légalement qualifiés « par magie ». ICI Radio‑Canada. https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2175568/enseignants-legalement-qualifies-regles-quebec

2 98.5 Montréal. (2025, 18 juin). « Je ne peux pas garantir que chaque élève va avoir tout ce dont il a besoin » [Fichier audio]. https://www.985fm.ca/audio/706665/je-ne-peux-pas-garantir-que-chaque-eleve-va-avoir-tout-ce-dont-il-a-besoin?utm_term=Autofeed&utm_medium=Social&utm_source=Threads%23Echobox%3D1750251426

3 Radio‑Canada. (2023, 17 mai). Salaire des enseignants : Le ministre Bernard Drainville dans la tourmente [Texte en ligne]. Consulté le 27 juin 2025, sur https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1980263/controverse-drainville-salaire-professeur

4 Le Devoir. (2023, 17 août). Éducation : les classes de maternelle sont moins exigeantes, dit Drainville. Le Devoir. Repéré à https://www.ledevoir.com/societe/education/796435/education-les-classes-de-maternelle-sont-moins-exigeantes-dit-drainville

5 Le Devoir. (2023, 29 août). Bernard Drainville confiant qu’il y a un adulte dans chaque classe pour la rentrée. Le Devoir. Repéré à https://www.ledevoir.com/politique/quebec/797043/bernard-drainville-confiant-qu-il-y-a-un-adulte-dans-chaque-classe-pour-la-rentree


Dans mes écouteurs

Salut Serge !

OSM – Un musicien parmi tant d’autres – Harmonium symphonique – #musiquebleue

La bonne nouvelle de cette semaine

Quelle excellente nouvelle pour les cinéphiles québécois : le prochain film de la célèbre série James Bond sera réalisé par Denis Villeneuve. Oui, le Denis Villeneuve, enfant de Bécancour, formé ici, chez nous, dans nos écoles. L’annonce faite cette semaine confirme que, non seulement il sera réalisateur, mais aussi producteur exécutif, en compagnie de sa conjointe, Tanya Lapointe. Voir un créateur québécois à la tête d’un projet aussi emblématique, c’est plus qu’une fierté nationale : c’est la preuve qu’un regard façonné par notre culture peut maintenant éclairer l’un des univers cinématographiques les plus suivis de la planète.

Le choix de Villeneuve s’impose avec évidence. Son approche cinématographique, à la fois sobre, puissante et empreinte d’une grande humanité, pourrait bien redonner souffle à une série qui cherche constamment à se réinventer. Après Arrival, Blade Runner 2049 et Dune, on sait qu’il saura conjuguer profondeur narrative et puissance visuelle. C’est un moment marquant pour le cinéma québécois : non seulement un des nôtres fait son entrée dans la grande famille Bond, mais il le fait en y apportant son intégrité artistique et sa sensibilité. Cette fois, ce n’est pas seulement l’agent secret qui est en mission spéciale… c’est aussi le Québec.


Billet du 2 mai 2025 : Dérapages

J’aurais pu titrer mon billet de cette semaine « Quand on crache en l’air, ça nous retombe sur le nez », mais c’eût été trop long. À titre court, histoires courtes. Nos personnalités politiques nous ont fourni du grand matériel en ce sens, au cours des derniers jours.

Un pays artificiel
Le chef du Bloc québécois, Yves-François Blanchet, s’est attiré les foudres des autres chefs de partis en déclarant que le Canada était un pays artificiel, sous prétexte qu’il regroupait des régions avec des problèmes et des besoins différents en un seul centre décisionnel, sa capitale. Ce faisant, monsieur Blanchet a décrit ce qui constitue également la réalité d’à peu près tous les pays d’Europe, la Chine, l’Inde, le Brésil, l’Australie et les États-Unis, pour ne nommer que ceux-là. Ça fait beaucoup de pays artificiels. En passant, ne serait-ce pas aussi vrai pour un Québec indépendant ?

Rabaisser les autres
Quand j’enseignais, j’expliquais souvent à mes élèves qu’on ne se valorise pas en rabaissant les autres. Pierre Poilievre a passé plus de deux ans à tirer à boulets rouges sur Justin Trudeau, à lui imputer tous les problèmes du Canada. Il avait réussi à convaincre les Canadiens et se dirigeait assurément vers le trône de premier ministre, avec une avance de près de 25 points dans les sondages. Mais voilà, Trudeau a décidé de partir, emportant la gale avec lui. Son successeur, Mark Carney, a rapidement déclenché des élections avant qu’on ne puisse lui reprocher quoi que ce soit. Résultat : Poilievre n’est pas premier ministre et n’est même plus député.

Réprimer plutôt qu’éduquer
Le ministre de l’Éducation, Bernard Drainville, a annoncé qu’à partir de septembre, les téléphones mobiles allaient être interdits sur le territoire de toutes les écoles primaires et secondaires, publiques et privées, du Québec. Inciter les élèves à faire autre chose qu’avoir les yeux sur un écran est bien en soi. Toutefois, le règlement ne prévoit aucune mesure parallèle pour contrer la cyberintimidation ou encourager les activités physiques, ludiques ou culturelles, les deux raisons principales du bannissement. On rate ici une belle occasion d’instruire et d’éduquer.

Civisme, avez-vous dit ?
« On veut instaurer une culture du civisme », a dit le ministre Drainville lors de la même conférence de presse, alors qu’il annonçait que tous les élèves devraient maintenant vouvoyer leurs enseignantes et enseignants. Le même jour, un échange peu édifiant impliquant son chef, le premier ministre François Legault, s’est déroulé à l’Assemblée nationale. Celui-ci a insulté à profusion la députation de Québec solidaire, refusant d’obtempérer aux demandes de la présidente, Nathalie Roy, de retirer ses paroles, mais en… vouvoyant les personnes à qui il s’adressait !

Le Journal de Montréal a diffusé un extrait vidéo du manque de civisme de celui qui veut instaurer une culture du civisme.

Rebaptiser Canadian Tire et Winners ?
Durant la même semaine, le ministre de la Langue française, Jean-François Roberge, va à l’encontre de l’ordonnance de l’Office québécois de la langue française en permettant l’affichage du Go ! Habs Go !, mais demande à toutes les bannières commerciales établies au Québec d’afficher leur nom avec une nette prédominance du français.

Laver son linge sale en famille
Il y a longtemps qu’on n’avait pas assisté à une chicane chez les souverainistes québécois. On s’en inquiétait presque. Après que Yves-François Blanchet ait tendu la main à Mark Carney afin de faire fonctionner la Chambre des communes, Paul St-Pierre Plamondon l’a publiquement rabroué en mentionnant que ce n’était pas le rôle des souverainistes de collaborer avec le premier ministre canadien, même dans le contexte des tensions avec l’administration américaine. Les souverainistes ont beau qualifier le Canada de pays artificiel, leurs chicanes intestines sont, elles, 100 % authentiques.


Dans mes écouteurs

Ayelet Rose Gottlieb, chanteuse et compositrice née à Jérusalem et installée à Montréal, évolue à la croisée du jazz, de la poésie et de l’expérimentation sonore. Ses projets, souvent inspirés par des textes anciens ou des expériences personnelles, donnent à la voix un rôle central et expressif. Avec elle, le souffle, le silence et les mots deviennent des matières premières musicales.

De son plus récent album, Dust, voici la pièce Demain dès l’aube.

Ayelet Rose Gottlieb – Demain dès l’aube – Dust – #musiquebleue

La bonne nouvelle de cette semaine

C’est à Québec, dans un ancien presbytère transformé en lieu haut en couleur, que la toute première Maison de la BD a vu le jour au Canada. Ce nouvel espace offre un vibrant hommage à un siècle de création, de l’audace d’Albéric Bourgeois, pionnier du phylactère en 1904, jusqu’aux succès internationaux de Julie Doucet, Denis Rodier et Alex A. Le rez-de-chaussée, en accès libre, regorge de trésors graphiques qui racontent l’évolution de la BD québécoise, depuis les dessins de catéchisme jusqu’à l’émergence d’icônes comme L’Agent Jean.

Mais cette maison n’est pas un musée figé : elle vit au rythme de sa communauté et de ses artistes. Ateliers, lectures, lancements, dessins animés et événements familiaux s’y succéderont dans une programmation dynamique pensée pour tous les publics. En plus de mettre en valeur les talents souvent ignorés ici, mais applaudis à l’étranger, la Maison de la BD vient confirmer la maturité d’un art longtemps considéré comme mineur. Enfin, elle célèbre avec éclat et fierté ce qui nous distingue et ce qui nous unit, un trait de crayon à la fois.


Billet du 8 mars 2024 : Pause bénéfique

La relâche scolaire fait du bien ! Elle est trop courte pour être qualifiée de vacances, mais trop longue pour être considérée comme un congé ; toutefois, elle constitue une pause bénéfique tant pour les élèves que pour le personnel des écoles. À moi, elle sert de mise à jour des obligations professionnelles, mais à un rythme plus lent. Elle me permet aussi de gérer quelques affaires personnelles. Mais surtout, elle permet également de m’accorder du temps personnel, du temps trop peu souvent disponible pour accomplir certaines activités durant l’année scolaire.

Instaurée à certains endroits dès les années 1970, ce n’est qu’au début des années 1980 que la semaine de relâche s’est étendue partout au Québec. Ce sont cinq jours de vacances d’été qui ont été déplacés à la fin de l’hiver. C’est la raison pour laquelle la rentrée scolaire commence à la fin du mois d’août plutôt qu’après la fête du Travail, comme c’était le cas auparavant.


Dans le cours d’éthique et culture religieuse

La semaine dernière, la Cour d’appel du Québec a confirmé la validité de la Loi 21, la Loi sur la laïcité de l’État. Dans les heures qui ont suivi, voici ce que le Bloc québécois a publié sur les réseaux sociaux :

Venant d’une formation politique qui se targue depuis toujours de représenter les intérêts des Québécoises et des Québécois, la boutade est indigne, inutilement arrogante, méprisante et condescendante. En manifestant sa satisfaction avec une expression on ne peut plus chrétienne (Alléluia signifie « Louez Dieu »), le Bloc envoie un pied de nez aux tenants des autres religions, comme si on leur confirmait que leurs signes religieux étaient plus dérangeants que ceux qui ont longtemps orné le décor d’un Québec catholique.

Le principe de la laïcité de l’État rallie environ les deux tiers de la population, selon les principaux sondages. S’il s’agit d’une majorité nette, on demeure quand même loin du consensus social. Retenons de plus que le gouvernement québécois a dû recourir à la clause dérogatoire, la fameuse clause « nonobstant », pour adopter sa Loi 21. « Il n’y a rien de nouveau sous le Soleil », rétorquerez-vous peut-être. Pourtant, un précédent a bien été créé ! Parce que jusqu’à l’adoption de cette loi, nos seuls recours à la clause dérogatoire consistaient à nous soustraire à l’application de la Charte canadienne des droits et libertés. Pour la Loi sur la laïcité de l’État, on a également dû, pour la première fois, se soustraire aux articles de la Charte des droits et libertés de la personne, celle-ci adoptée en 1975 par l’Assemblée nationale du Québec. Le gouvernement a ainsi délibérément contrevenu à sa propre charte.

Par cette réaction inconvenante, le Bloc québécois a raté une belle occasion d’agir avec unité et inclusion. Son attitude de crois ou meurs est déplorable.


Dans le cours de musique

Nicolas Boulerice écrit, compose et chante des airs de musique traditionnelle. Avec le groupe Le Vent du Nord, il a produit dix albums. Il en a également produit un en solo, un autre avec deux collaborateurs et deux avec Frédéric Samson.

Frédéric Samson est contrebassiste. De son côté, il a participé à quatre albums de Small World Project, en plus de ses collaborations avec Nicolas Boulerice.

Sorti le 1er mars dernier, CoolTrad constitue le deuxième album des deux collaborateurs. Il regroupe douze titres qui mêlent le chant traditionnel aux airs de jazz et de blues. Le résultat m’a immédiatement séduit. Amateur des trois styles, mais avec un léger penchant vers le blues, j’ai opté cette semaine pour Testament.

Nicolas Boulerice et Frédéric Samson – Testament – CoolTrad – #musiquebleue

La bonne nouvelle de cette semaine

Je vous fais une petite révélation, je suis malentendant. À un faible degré, il est vrai, mais suffisamment pour porter des prothèses auditives. Pour les personnes atteintes d’une surdité totale, il est maintenant possible d’assister à un concert ou d’aller danser. La musique est ressentie… par la peau !

Jay Zimmerman, un musicien ayant perdu l’ouïe lors des attentats du 11 septembre 20011, s’est adjoint des ingénieurs afin de mettre sur pied le projet Music : Not Impossible. Ensemble, ils ont développé une technologie permettant à des personnes sourdes de ressentir la musique à travers leur peau, un peu comme si elle remplaçait les tympans, grâce à des appareils placés aux poignets, aux chevilles et sur le tronc2. Le collectif a organisé un concert auquel des centaines de spectateurs ont assisté. La moitié d’entre eux étaient sourds.

L’expérience s’est avérée concluante : tous ont affirmé l’avoir vécue de la même façon.

1 Jay’s Silent Symphony: When a Musician Goes Deaf (vidéo en anglais)

2 Music: Not Impossible Origin Story (vidéo en anglais)