Billet du 14 mars 2025 : Quand pouvoir ne rime pas avec savoir

Depuis près de cinquante ans, les politiques éducatives américaines n’ont pas connu de transformations majeures comparables à celles des autres pays du G7. Alors que la France, le Canada ou l’Allemagne ont consolidé des réformes pour favoriser l’accès à l’éducation et rehausser la qualité de l’enseignement, les États-Unis ont laissé leur système s’effriter sous le poids des inégalités, des coupes budgétaires et d’un manque de vision à long terme.

La dernière réforme d’envergure qui a réellement transformé l’éducation pour l’ensemble des élèves et étudiants américains remonte à la présidence de Jimmy Carter. En 1979, il a créé le département de l’Éducation, marquant ainsi la dernière tentative fédérale de centraliser et d’améliorer la politique éducative à l’échelle nationale. Son administration a aussi renforcé le soutien aux universités publiques et aux programmes de prêts étudiants. Mais depuis, aucune réforme n’a eu un impact aussi structurant sur l’ensemble du système scolaire et universitaire.

Ce constat est particulièrement frappant lorsqu’on observe le vote des villes universitaires américaines lors des élections de novembre 2024 : selon les derniers chiffres disponibles, elles auraient toutes choisi Kamala Harris, y compris celles situées dans des États républicains. Si l’on part du principe que la population universitaire est en moyenne plus instruite, ce résultat pose une question fondamentale : pourquoi les foyers du savoir rejettent-ils massivement Donald Trump alors que le reste du pays l’a ramené à la Maison-Blanche ?

L’histoire nous fournit des pistes de réflexion. De nombreux penseurs et dirigeants ont souligné que le manque d’instruction pave souvent la voie à l’autoritarisme. « L’éducation est l’arme la plus puissante qu’on puisse utiliser pour changer le monde », affirmait Nelson Mandela. Or, que se passe-t-il lorsqu’un pays refuse d’investir dans cette arme ? Il s’affaiblit intellectuellement et démocratiquement, laissant place aux discours simplistes et aux figures populistes qui prospèrent sur l’ignorance.

Abraham Lincoln, quant à lui, rappelait : « La philosophie de l’école dans une génération sera la philosophie du gouvernement dans la suivante. » Si l’on suit cette logique, le désinvestissement progressif dans l’éducation publique américaine a tracé la voie au gouvernement actuel. En négligeant le rôle central du savoir dans le développement civique, le pays a permis l’émergence d’un climat où les faits deviennent secondaires, où les émotions l’emportent sur la raison et où la démocratie vacille.

Le retour de Donald Trump au pouvoir en janvier 2025 n’a fait que confirmer cette dynamique. Déjà, lors de son premier mandat, il avait drastiquement réduit les budgets alloués au département de l’Éducation, notamment en coupant dans les programmes d’aide aux étudiants à faibles revenus et en favorisant les écoles privées au détriment des écoles publiques. Cette tendance s’est accélérée depuis son retour à la Maison-Blanche : les coupes budgétaires se sont multipliées, affaiblissant encore davantage un système éducatif déjà en crise. En parallèle, son administration a mené une offensive contre les institutions démocratiques, multipliant les purges administratives et adoptant une communication de plus en plus agressive à l’encontre des médias et des intellectuels. Ce scénario aurait-il été possible dans un pays où l’éducation aurait été renforcée au même rythme que dans les autres grandes démocraties occidentales ?

Loin d’être une simple question de politiques publiques, l’éducation est le rempart ultime contre la manipulation et l’érosion des libertés. Les États-Unis en font aujourd’hui la démonstration tragique.


Dans le cours de français

La langue française, tel un caméléon sur une palette de couleurs, se transforme sans cesse. Les néologismes, ces petits monstres linguistiques, surgissent de nulle part pour nommer nos nouvelles obsessions. « Courriel », « télétravailler » et « divulgâcher » sont autant de spécimens étranges qui ont élu domicile dans nos conversations. Ils sont le reflet de notre capacité à inventer des mots plus vite qu’un chat ne perd ses poils.

L’intégration d’un néologisme, c’est un peu comme une soirée karaoké : certains font un malheur dès la première note, d’autres se font huer et disparaissent dans les limbes du langage. Prenons l’exemple de « ubériser », qui a rapidement conquis nos conversations pour décrire la transformation radicale de certains secteurs économiques. Ou encore « influenceur », qui désigne ces nouvelles vedettes du monde numérique qui dictent nos tendances. Par contre, souvenons-nous de « clavardage », qui fut un néologisme populaire à l’arrivée d’internet, et qui est maintenant remplacé par le terme « messagerie ». L’Office québécois de la langue française, gardien vigilant de notre patrimoine linguistique, joue un rôle essentiel dans l’analyse et la validation de ces nouveaux mots. Les dictionnaires, ces autres gardiens du temple, décident ensuite qui a le droit de chanter dans la cour des grands. Mais finalement, c’est le public, c’est-à-dire nous, qui choisit les expressions marquantes de demain.

Alors, soyons ouverts aux nouveaux mots, même les plus farfelus. Après tout, la langue française est un terrain de jeu géant, où l’on peut s’amuser à créer, à inventer, à faire des pirouettes verbales. Les réformes linguistiques peuvent parfois déranger, mais elles sont nécessaires pour que la langue reste un outil vivant et adapté à son époque. Loin de la dénaturer, les néologismes et les évolutions linguistiques sont les témoins de notre vitalité et de notre capacité à nous réinventer sans cesse.


Dans le cours de musique

Étienne Fletcher, un artiste fransaskois aux racines profondément enracinées dans la culture bilingue, a récemment sorti son album Kauai O’o. Fils d’un père anglophone de Regina et d’une mère francophone originaire de Laurier-Station au Québec, Fletcher a grandi dans un environnement où les deux langues et cultures se côtoyaient naturellement. Ses étés passés à Saint-Flavien, au Québec, ont renforcé cette connexion avec la culture québécoise, qui se reflète dans sa musique.

Kauai O’o explore avec sensibilité l’histoire émouvante d’une espèce d’oiseau disparue, utilisant cette métaphore pour aborder les défis des minorités linguistiques et culturelles. Les compositions de Fletcher sont caractérisées par des mélodies envoûtantes et des arrangements soignés qui rappellent parfois ceux du groupe Les Parfaits salauds. Voici la pièce Poètes.

Étienne Fletcher – Poètes – Kauai O’o – #musiquebleue

La bonne nouvelle de cette semaine

Le caribou montagnard de la Gaspésie, une espèce emblématique en déclin depuis des décennies, bénéficie d’un nouvel élan d’espoir grâce à des mesures de conservation renforcées. Avec l’engagement des experts et les efforts concertés des autorités, plusieurs initiatives ont été mises en place pour protéger son habitat et favoriser la survie de cette population unique. Parmi ces mesures, la mise en place de zones de protection plus strictes et l’amélioration des conditions de reproduction offrent une lueur d’espoir pour l’avenir de ces majestueux cervidés.

Cette mobilisation collective démontre qu’avec des actions concertées et un engagement sincère envers la biodiversité, il est possible de renverser la tendance et de préserver des espèces en péril. La Gaspésie, joyau naturel du Québec, pourrait ainsi redevenir un sanctuaire florissant pour le caribou montagnard. Cette nouvelle rappelle à quel point chaque effort compte dans la protection de notre patrimoine naturel et qu’ensemble, nous pouvons faire une réelle différence pour l’environnement.


Billet du 24 novembre 2023 : Journal de grève, 1re semaine

Depuis que j’ai démarré ce blogue, en février 2020, on peut y lire mes billets hebdomadaires, mes journaux de vacances d’été et mes journaux de vacances des Fêtes. Voici mon premier journal de grève.

Contrairement à mes journaux de vacances, dont je connais d’avance le nombre et les dates de publication, j’ignore complètement à quel moment je cesserai la publication de mes journaux de grève pour reprendre mes billets périodiques, ce débrayage dans lequel nous sommes entrés se réclamant général et illimité.

Allons-y donc une semaine à la fois !


À la manifestation
(Clin d’œil aux Cowboys Fringants)

Combien étions-nous à Montréal, hier, 23 novembre ? Au moment où j’écris ces lignes, j’attends toujours qu’un média s’avance sur les chiffres. Les images diffusées impressionnent, cependant.

La mobilisation est grande. En vingt-huit ans d’enseignement, j’ai vécu quelques journées de grève, bien réparties à travers les années. Chaque fois, même si une majorité de membres du syndicat votaient pour l’arrêt de travail, plusieurs choisissaient l’option inverse. Cet automne, sur une proposition de grève générale illimitée, c’est avec une quasi-unanimité que les 12 syndicats affiliés à la Fédération autonome de l’enseignement (FAE) ont voté en faveur.

Hier, le premier ministre a offert de bonifier l’offre salariale aux enseignants, à condition que nous démontrions plus de flexibilité dans les conventions collectives. Par plus de flexibilité, il entend de ramener à la convention nationale un des éléments les plus importants des conventions locales, soit les affectations dans les écoles. Ceci dans le but d’éviter des situations comme lors des dernières rentrées scolaires, alors que plusieurs centaines de postes d’enseignants n’étaient pas pourvus. Le gouvernement imposerait alors de tenir les affectations en mai ou en juin, plutôt qu’en août.

Le problème est que les affectations se tiennent déjà en mai. Si les centres de services scolaire ont été obligés d’en instaurer une autre en août, de moindre envergure, c’est parce que cette dernière est rendue nécessaire à la suite de changements survenus en été, notamment par des ouvertures de classes faisant suite à des déménagements ou des révisions de zones de desserte. Oui, il est vrai que des enseignantes ou enseignants permanents peuvent damer le pion à des collègues à statut précaire lors de l’affectation d’août, ce qu’ont dénoncé Gaétan Barrette et Marc-André Leclerc lors de l’émission La Joute, à TVA1. Toutefois, je précise ici que, n’en déplaise aux panélistes de La Joute, qui hier ont erré dans plusieurs de leurs propos, l’ancienneté demeure le seul élément pouvant permettre aux titulaires d’améliorer leurs conditions en choisissant un milieu de travail qui leur convient. Contrairement à d’autres corps d’emplois, il est impossible en enseignement de négocier un meilleur salaire ou d’autres avantages avec son employeur.

Autre problème, l’offre salariale n’est qu’un des éléments de nos revendications. Et j’oserais ajouter que cet élément se voudrait négligeable, n’eût été la hausse astronomique du taux d’inflation, depuis la signature de notre dernière convention. L’élément le plus important de nos demandes concerne l’allégement de la tâche et l’aide professionnelle. Là-dessus, la ministre Sonia LeBel s’est montrée directe en affirmant que même si elle disposait des ressources financières nécessaires, le manque de main-d’œuvre l’empêcherait de donner suite à un potentiel engagement en ce sens. Nous en sommes conscients. Mais peut-on commencer dès maintenant à établir une structure qui, à plus long terme, ira dans cette direction ? Nous nous trouvons actuellement dans ce bourbier parce que les différents gouvernements qui se sont succédé ont fait la sourde oreille quand les premiers signaux d’alarme, et tous les suivants, ont été lancés. En toute chose, laisser aller un problème par souci d’économie résulte généralement en investissements majeurs dans des rénovations. C’est là où nous en sommes.

Enfin, pour tous les Mario Dumont de ce monde qui stipulent qu’une réponse favorable à nos demandes coûterait des milliards de dollars, je réplique qu’il en coûtera des dizaines de milliards avant longtemps si on n’agit pas maintenant. Nous en sommes aujourd’hui à plus de 40 % des nouveaux enseignants qui décrochent du milieu dans les cinq premières années de leur carrière, alors qu’un nombre de plus en plus grandissant de vétérans quittent également l’enseignement pour préserver leur santé physique ou mentale. Ajoutons que les facultés de l’éducation des universités québécoises se vident de plus en plus chaque année, quand 50 % des étudiants abandonnent après la première année et que 50 % de ceux qui restent abandonnent à leur tour après la deuxième 2. Si les investissements nécessaires ne sont pas effectués dès maintenant pour rendre la profession attrayante, on se dirige à toute vitesse vers un mur de béton.

Et je cite :

« Si vous trouvez que l’éducation coûte cher, essayez l’ignorance ».

Abraham Lincoln

C’est l’avenir du réseau de l’éducation au Québec qui se joue actuellement. Rien de moins.

1 La Joute, TVA. Grève des enseignants: «Ça va se finir avec le « cash »». Le 23 novembre 2023.

2 Chartrand, Suzanne-G. Comprendre les causes de la pénurie d’enseignants. Le Devoir, Montréal. Le 13 novembre 2021.


Dans mes écouteurs

Le sentier de neige n’est pas la chanson du temps des Fêtes qui a le plus marqué la discographie québécoise, mais elle a très bien vieilli. D’abord interprétée par les Classels au milieu des années 1960, elle a été reprise dans plusieurs versions, toutes enregistrées au cours des quelques dernières années.

La dernière en lice est celle de Klô Pelgag. C’est elle que je vous propose cette semaine, en #musiquebleue.

Klô Pelgag – Le sentier de neige – #musiquebleue

La bonne nouvelle de cette semaine

Vous aimez Foresta Lumina et Montréal en histoire ? Moi aussi !

Si certains investissements annoncés par le gouvernement du Québec peuvent paraître douteux, je considère que celui de 34 millions $ dans l’industrie numérique constitue une excellente nouvelle. Il s’agit d’un domaine en pleine expansion pour lequel le Québec possède toutes les chances de développer son expertise et de devenir un leader mondial.