Billet du 6 juin 2025 : Quand l’amygdale tweete plus vite que la raison

Depuis les derniers jours, Elon Musk et Donald Trump s’affrontent publiquement dans une querelle aussi bruyante qu’absurde. Menaces, accusations, chantage politique : les réseaux sociaux se régalent. Mais si on prenait un pas de recul, non pas politique, mais neuroscientifique, que nous diraient les spécialistes du cerveau humain sur cette joute d’ego ?

Quand un adulte puissant réagit avec impulsivité, menace ceux qui le contredisent ou lance des rumeurs pour se venger, ce n’est pas seulement un style. Pour plusieurs experts du développement humain, c’est souvent le signe que certaines structures du cerveau fonctionnent en mode archaïque, comme chez l’enfant.

Le docteur Daniel Goleman, spécialiste de l’intelligence émotionnelle, parle de « détournement amygdalien ». En gros : quand une émotion forte est déclenchée (humiliation, peur de perdre le contrôle), le cerveau rationnel se déconnecte. C’est alors l’amygdale, une vieille structure liée aux réactions de survie, qui prend le volant. Est-ce qu’on peut imaginer Trump ou Musk dans ce genre d’état lorsqu’ils publient leurs tweets les plus explosifs ? On serait tenté de le croire.

Le cortex préfrontal, lui, est censé tempérer tout ça. C’est lui qui nous aide à réfléchir, à prévoir les conséquences de nos actes, à freiner nos impulsions. Chez certains, cette partie du cerveau agit comme un bon conseiller. Chez d’autres, elle est parfois débordée par les émotions. Et c’est là que ça dérape. Le psychiatre Daniel Siegel rappelle qu’on peut être adulte biologiquement, sans l’être émotionnellement. Réagir comme un adolescent frustré à la moindre critique, ce n’est pas une preuve de puissance : c’est un signe d’un cerveau qui n’a pas fini de se réguler.

Des chercheurs comme Catherine Gueguen ou Gordon Neufeld insistent : la manière dont on a été aimé, écouté et sécurisé dans l’enfance joue un rôle clé dans la maturité émotionnelle adulte. Quand cette base est fragile, on peut passer sa vie à chercher à prouver sa valeur, à contrôler les autres ou à fuir la moindre remise en question. Et si, derrière les milliards de Musk et le pouvoir de Trump, il y avait simplement deux enfants blessés, mal équipés pour gérer le désaccord et l’impuissance ?

Ce que nous montrent ces deux hommes, c’est une forme d’immaturité déguisée en leadership. Ils ont beau être célèbres, riches et influents, leurs réactions ressemblent parfois plus à une bataille de cour de récréation qu’à un débat d’hommes d’État.

La bonne nouvelle, c’est que le cerveau conserve sa plasticité toute la vie. La mauvaise, c’est que ni Twitter ni Truth Social ne sont reconnus comme milieux favorables à son développement.


Pratiquer l’histoire

Dans un épisode récent de la série Le dessous des images, diffusée sur ARTE, la journaliste Sonia Devillers s’attaque à ce qui pourrait sembler être une lubie bureaucratique : la suppression massive d’archives photo par l’administration Trump. Mais derrière ce nettoyage numérique, on parle de plus de 100 000 images visées, se cache une entreprise bien plus inquiétante : l’effacement systématique de contenus liés à la diversité, à l’équité et à l’inclusion. C’est ainsi que des photographies de femmes militaires, de soldats afro-américains ou même du mythique bombardier Enola Gay (dont le nom contient malencontreusement le mot « gay ») se retrouvent à disparaître des bases de données publiques.

Ce n’est pas un simple excès de zèle. C’est une stratégie. En éliminant les traces visuelles d’une armée plus représentative, plus inclusive, Trump tente de restaurer un récit rétrograde : celui d’une Amérique militaire blanche, masculine, unifiée et mythifiée. Ce récit n’a jamais existé, mais il fonctionne à merveille dans un programme politique nostalgique. Pas besoin de réécrire l’histoire quand on peut simplement la purger.

On pourrait croire à une mauvaise blague algorithmique. Ce serait oublier que l’histoire est aussi un champ de bataille. Et que, dans ce champ, les archives sont des munitions. Staline effaçait ses ennemis des photos. Trump efface des décennies d’évolution sociale des serveurs fédéraux. Même combat. Et même nécessité de rester, plus que jamais, aux aguets.

C’est ici que les institutions éducatives, les musées, les journalistes, ainsi que nous tous, entrons en scène. Car si un gouvernement peut effacer des images, il ne peut pas effacer toutes les mémoires. Encore faut-il les entretenir, les transmettre, les confronter. Le danger ne réside pas seulement dans ce qui disparaît, mais dans ce que nous cessons de chercher, de nommer, de raconter. L’histoire, comme la démocratie, exige qu’on la pratique. Et parfois, qu’on la défende activement contre l’oubli organisé. Dans cette lutte pour la mémoire, l’intelligence collective reste notre meilleure arme : une conscience partagée, tissée d’expériences, de débats et de vigilance. L’intelligence artificielle, elle, peut nous épauler, à condition qu’elle soit au service de cette mémoire commune, et non d’un pouvoir qui cherche à la formater. Sinon, elle ne sera pas un outil de savoir, mais un complice de l’oubli.

ARTE. Donald Trump purge les archives pour réécrire l’Histoire. Le dessous des images, 3 mai 2025. [Vidéo en ligne]


Dans mes écouteurs

Originaire de Montréal, DanyJo s’impose comme une figure montante de la scène francophone avec son nouvel EP Trop d’histoires, lancé le 5 juin au Quai des Brumes. Après avoir exploré des sonorités pop et chanson dans L’antre nos deux oreilles (2023), il revient avec un projet résolument rock, teinté d’une poésie viscérale et attachante. Ce mini-album de six titres offre une immersion dans un univers musical riche et personnel.

Parmi les morceaux, Bob Dylan XII se distingue par son hommage subtil au légendaire auteur-compositeur américain. Avec des arrangements épurés et des paroles empreintes de réflexion, cette chanson reflète l’influence de Dylan sur DanyJo, tout en affirmant sa propre voix artistique. C’est une pièce qui incarne parfaitement l’essence du microalbum : une fusion entre tradition et modernité, portée par une sincérité désarmante. La voici.

DanyJo – Bob Dylan XII – Trop d’histoires – #musiquebleue

Les bonnes nouvelles de cette semaine

Il arrive que la reconnaissance vienne d’un peu plus loin que prévu. L’écrivain et journaliste Michel Jean a été fait chevalier de l’Ordre des Arts et des Lettres de la République française, un honneur rarement accordé à un Québécois, et encore plus exceptionnel pour un membre des Premiers Peuples. La distinction salue l’ensemble de son œuvre littéraire, ancrée dans la mémoire innue, ainsi que son engagement pour une représentation plus juste et humaine des Autochtones dans l’espace médiatique. Une reconnaissance internationale aussi touchante que significative.

Pendant ce temps, sur un tout autre terrain, Luguentz Dort et Bennedict Mathurin font eux aussi rayonner le Québec, cette fois sur la scène de la NBA. Leurs équipes respectives, le Thunder d’Oklahoma City et les Pacers de l’Indiana, s’affronteront en finale du championnat. C’est une première : deux joueurs québécois dans deux équipes finalistes au basketball. Pour un sport encore marginal il n’y a pas si longtemps au Québec, c’est un signe fort de progression, et un rappel que le talent d’ici peut atteindre les plus hauts sommets.

Deux bonnes nouvelles, donc, qui nous rappellent qu’il est possible de se rendre loin sans renier d’où l’on vient. Que ce soit en maniant la plume ou le ballon, ces parcours inspirants tracent des trajectoires lumineuses et donnent envie, l’espace d’un instant, de croire que l’élan d’un peuple peut se jouer sur tous les terrains.


Billet du 30 mai 2025 : IA sous surveillance parentale

À l’ère où les outils d’intelligence artificielle fleurissent partout, les craintes sur leur usage en contexte scolaire ne cessent de monter. Alors que quelques membres de sa famille ont récemment fait parler d’eux à travers certaines polémiques, Elisabeth Abbatiello, copropriétaire et stratège en communication du Groupe Abbatiello, une famille bien établie dans les secteurs de la restauration et de l’immobilier au Québec, a partagé une anecdote éclairante : pourquoi et comment elle a introduit sa fille de 8 ans à l’usage de ChatGPT pour un devoir de lecture.

Le 27 mai 2025 sur LinkedIn, Elisabeth Abbatiello a publié ce témoignage relatant comment elle a accompagné Sophia, sa fille de 8 ans, pour un devoir de lecture avec l’aide de ChatGPT :

« Soucieuse de ne pas la décourager, je me suis dit que c’était le temps de lui montrer comment “hacker” la performance … Nous avons lu les 2 premiers chapitres ensemble et avons demandé à ChatGPT de nous faire un résumé de 10 minutes sur les 7 autres chapitres. Sophia a même pu poser des questions à ChatGPT pour être sûre de bien comprendre. »

Je n’approuve pas l’expression « hacker la performance » : elle dénature la dimension éducative de sa démarche. Toutefois, bravo à Elisabeth Abbatiello d’avoir fait de ChatGPT un véritable assistant pédagogique, non pour faire le travail à la place de sa fille, mais pour l’impliquer dans ses propres apprentissages. Maintenant qu’elle a initié sa fille à l’utilisation de l’IA, elle a également le devoir de poursuivre cet accompagnement : poser des garde-fous, vérifier la qualité des réponses et encourager Sophia à cultiver son esprit critique. Cette vigilance constante garantira que la technologie demeure un moteur d’apprentissage et non un simple substitut.

Parce qu’en effet, l’intelligence artificielle n’est ni un substitut à l’effort ni un outil en libre-service ; sous réserve d’un usage critique et encadré, elle se révèle un levier puissant pour enrichir l’apprentissage tout en préservant la réflexion personnelle. Il appartient aux parents et aux enseignants de prendre le relais : initier, encadrer et responsabiliser les élèves afin que ceux-ci sachent dialoguer avec l’IA tout en préservant la maîtrise de leurs apprentissages.


Dans mes écouteurs

Native de la scène rap francophone montréalaise, Sensei H incarne un hip-hop littéraire et engagé. Basée à Québec depuis plusieurs années, cette Franco-Algérienne s’est hissée parmi les trois finalistes des Francouvertes 2024 et a même signé la signature musicale de la campagne de Télé-Québec avec Hors du commun. Sorti le 23 mai 2025, son minialbum en attendant l’amour comprend cinq titres répartis sur environ 17 minutes, alternant confidences intimes et réflexions sociales. C’est un véritable manifeste de résilience et d’authenticité qui confirme sa volonté de donner du sens à chaque phrase.

La chanson qui suit, issue de ce microalbum et inspirée de la musique classique, s’intitule chemise noire.

Sensei H – chemise noire – en attendant l’amour – #musiquebleue

La bonne nouvelle de cette semaine

Cette semaine, dans l’arrondissement de Saint-Laurent à Montréal, plusieurs entreprises ont lancé un projet de boucle énergétique visant à mutualiser leurs excédents de chaleur. Inspiré par des acteurs comme YKK Canada, qui recycle sa chaleur perdue grâce à un projet de géothermie, et Moneris, qui a déjà réduit de 55 % sa consommation de gaz grâce à un mur solaire, ce réseau met en relation les émetteurs et les receveurs d’énergie à prix réduit. Trois secteurs pilotes, Lebeau, Thiemens et le Technoparc ont été retenus, et une étude économique en cours, dont les résultats sont attendus pour août 2025, devrait confirmer le potentiel de cette solution locale et sobre.

Au-delà de l’impact écologique évident, cette initiative présente un avantage économique pour les entreprises et pour la collectivité. En vendant leur chaleur excédentaire, les émetteurs génèrent un revenu supplémentaire, tandis que les receveurs bénéficient d’une énergie moins chère que celle du marché. Hydro-Québec pourra rediriger ses ventes ailleurs, optimisant ainsi sa production. Avec des investissements estimés entre 10 et 15 millions de dollars d’ici 2030 pour déployer l’infrastructure, l’arrondissement de Saint-Laurent se pose en modèle d’innovation durable et de collaboration locale. Une belle démonstration que, lorsqu’on unit nos efforts, on va plus loin ensemble.


Billet du 23 mai 2025 : Mémoire sélective

On dit souvent que l’histoire ne se répète pas, mais qu’elle bégaie. Ces derniers mois, alors que les bombardements israéliens sur Gaza ont déplacé plus de deux millions de personnes et tué plus de 50 000 Palestiniens, une question me hante. Ce n’est pas une question de géopolitique, mais de sens : comment un peuple qui a tant souffert peut-il infliger tant de souffrances à un autre, au nom de sa sécurité ?

Je travaille dans un univers où l’on questionne, où l’on cherche à comprendre les causes profondes et les effets durables des gestes humains. J’ai été incité à réfléchir publiquement sur la manière dont cette tragédie reflète notre utilisation collective de la mémoire et notre aptitude à apprendre des événements passés.

Il ne s’agit pas ici de nier les blessures profondes que porte le peuple juif. La Shoah demeure un abîme de douleur dans la conscience humaine : six millions de Juifs assassinés par les nazis, et une tentative méthodique d’anéantissement. Ce drame unique dans l’histoire moderne a forgé une mémoire collective qui devrait servir de rempart moral contre toute forme d’oppression.

Mais aujourd’hui, c’est un autre peuple, les Palestiniens, qui vivent dans la peur, l’exil et le deuil. Ce ne sont pas des abstractions : ce sont des enfants, des femmes, des hommes, des aînés, des familles entières dont les maisons sont rasées, les écoles détruites, les hôpitaux hors service. Ce ne sont pas tous des membres du Hamas, ni même des sympathisants. La majorité n’a pas choisi cette guerre. Elle la subit.

Le 7 octobre 2023, le Hamas a commis des attaques meurtrières contre Israël, tuant des civils, déclenchant une vague bien réelle de douleur et de colère. Ces actes manquent de justification, tout comme la punition collective d’un peuple entier au nom de la sécurité. La riposte d’Israël n’a pas visé uniquement les responsables : elle a frappé indistinctement. Elle a rasé des quartiers entiers. Elle a tué massivement.

Je refuse de confondre un peuple avec son gouvernement ou son armée. Être juif ne signifie pas soutenir les politiques de colonisation ou de bombardement. Être palestinien ne signifie pas adhérer au Hamas. Ce que je défends ici, ce n’est pas un parti pris : c’est l’idée qu’il faut empêcher les abus du présent à l’aide de la mémoire historique, plutôt que de les justifier.

De nombreux Juifs à travers le monde s’élèvent contre ce qui se passe à Gaza. Je pense à Noam Chomsky, intellectuel de renommée mondiale ; à Ilan Pappé, historien israélien qui dénonce depuis des décennies les politiques de domination ; à Breaking the Silence, collectif d’anciens soldats israéliens qui témoignent de la brutalité de l’occupation ; à Gideon Levy, l’un des rares journalistes à relayer la voix des Palestiniens ; à Norman Finkelstein, fils de survivants de la Shoah, qui critique l’instrumentalisation de cette mémoire ; ou encore à Amira Hass, seule journaliste juive israélienne vivant en permanence dans les territoires palestiniens. Ces voix ne parlent pas contre leur peuple : elles parlent pour l’humanité.

À l’opposé, Benyamin Netanyahou, chef d’un gouvernement d’extrême droite et premier ministre à la longévité inégalée, semble avoir oublié que gouverner un peuple blessé n’autorise pas à gouverner sans conscience. Son calcul politique permanent, ses alliances avec les courants les plus extrémistes du sionisme religieux et son mépris ouvert des appels à la retenue ne font pas de lui un gardien de la mémoire juive, mais un artisan actif de l’oubli. Il gouverne comme si la force suffisait à écrire l’histoire. Mais l’histoire, elle, n’oublie jamais.

Certaines des voix critiques que j’ai citées emploient un mot fort, controversé, mais désormais documenté : apartheid. Ce terme, utilisé par des organisations comme Amnesty International, Human Rights Watch, B’Tselem ou Yesh Din, ne renvoie pas ici à une insulte, mais à une définition juridique : un régime d’oppression et de domination systématique d’un groupe sur un autre. Il décrit la coexistence de deux populations vivant sous des lois différentes dans un même territoire. Ce mot ne vise pas à diaboliser, mais à nommer une réalité observable et, surtout, à susciter une responsabilité morale.

La mémoire est un outil puissant. Elle peut éclairer ou aveugler. À nous de choisir ce que nous en faisons : un miroir pour notre conscience, ou un écran pour notre indifférence.


Dans mes écouteurs

Cette semaine, je vous invite à découvrir Plus de fleurs que de fleuve, le premier album de Charlotte Brousseau. L’autrice-compositrice-interprète originaire de Québec propose treize chansons bien construites, à mi-chemin entre folk et chanson contemporaine, avec des arrangements sobres et soignés. On sent l’influence de son parcours en cinéma : chaque pièce évoque une atmosphère, un lieu, un moment. Les textes sont simples, réfléchis, souvent touchants, et portés par une voix posée, sans artifices. Une belle entrée en matière pour une artiste qui mérite d’être suivie.

Voici la pièce Retenir la nuit.

Charlotte Brousseau – Retenir la nuit – Plus de fleurs que de fleuve – #musiquebleue

La bonne nouvelle de cette semaine

Le réalisateur québécois Félix Dufour-Laperrière a franchi une grande étape le 8 mai dernier : son nouveau film La mort n’existe pas a été présenté à la prestigieuse Quinzaine des cinéastes du Festival de Cannes. C’est une première pour cet artiste au style singulier, déjà remarqué avec Ville Neuve et Archipel. Son plus récent long métrage, une coproduction Québec–France, suit Hélène, une militante en rupture qui se retire dans la nature après un attentat raté. Elle y retrouve le spectre d’une ancienne camarade, et avec elle, la nécessité de questionner ses convictions les plus profondes.

Cette sélection à Cannes est une formidable reconnaissance pour le réalisateur, mais aussi un clin d’œil réjouissant à la vitalité du cinéma québécois sur la scène internationale. Voir un créateur d’ici briller sur la Croisette, c’est inspirant et porteur d’espoir. Nos histoires, nos visuels et nos accents résonnent bien au-delà de nos limites territoriales, ce qui est certainement très positif !


Billet du 16 mai 2025 : Pelleteux de mots

Chaque printemps, c’est devenu une petite tradition dans mon billet hebdomadaire : faire un détour par les nouveautés du dictionnaire Le Robert. L’édition 2026 vient tout juste d’être dévoilée, avec son lot habituel de mots fraîchement intronisés dans la grande famille du français écrit et reconnu. Plus de 150 ajouts cette année, qui témoignent des grandes préoccupations de notre époque, comme l’intelligence artificielle, les changements sociaux, les mouvements culturels… Et, bien entendu, la vitalité du parler québécois.

Parlant d’ici, deux expressions familières bien de chez nous font une entrée remarquée : pelleteux de nuages et cône orange. La première, nous la connaissons bien : elle désigne celui ou celle qui rêve en couleurs, qui élabore de grands projets irréalistes, voire un brin farfelus. Une expression savoureuse, bien implantée dans notre imaginaire collectif, et qui mérite amplement sa place dans un dictionnaire qui se veut représentatif de toute la francophonie. Quant au cône orange, disons qu’il mériterait à lui seul un chapitre entier dans notre folklore routier. Il symbolise chez nous autant les travaux interminables que la résilience (forcée) des automobilistes québécois. Qu’un objet inanimé et unanimement exaspérant se retrouve désormais dans Le Robert, ça mérite un coup de klaxon.

Mais ce n’est pas tout. Cette année, on sent clairement l’influence des nouvelles technologies : prompter entre officiellement dans le dictionnaire, non pas comme l’appareil qui aide un politicien à réciter son discours, mais comme le fait d’envoyer une requête à une intelligence artificielle (clin d’œil à mes collègues titulaires de classes qui la découvrent en pleine correction de fin d’année). On note aussi hallucination dans son sens numérique, soit une réponse erronée, mais crédible, produite par une IA. Pratique pour comprendre pourquoi votre assistant vocal insiste pour réserver un hôtel à Orange, en France, quand vous demandez des infos sur l’orange de Floride.

Du côté des nouvelles tendances sociales, plusieurs mots évoquent les réalités actuelles : chemsex, justice restaurative, microagression, apprentissage profondLe Robert fait de plus en plus place à des réalités parfois difficiles, mais bien présentes. Et côté gastronomie, l’ouverture sur le monde continue avec l’ajout de zaatar, un mélange d’épices moyen-oriental qui gagne en popularité dans nos assiettes.

Enfin, on remarquera aussi quelques expressions familières qui font leur entrée, dont c’est carré, pour désigner quelque chose de bien organisé ou parfaitement en ordre, ainsi que mon gâté/ma gâtée, des marques d’affection bien connues au Québec, tout autant que dans le Sud de la France. Pas certain que c’est carré réussisse à détrôner notre bon vieux c’est correct, mais ces ajouts rappellent que le français, dans toute sa diversité régionale, est vivant, expressif et profondément enraciné dans les usages quotidiens.

Bref, encore une belle cuvée pour les amoureux du mot juste, du mot nouveau et du mot d’ici. Et si jamais vous êtes vous-même un pelleteux de nuages en quête de reconnaissance, sachez qu’il suffit parfois d’un bon mot et de quelques décennies d’usage populaire, pour entrer dans l’histoire lexicale.


Conseillance pédagogique en français

Sur le site de Radio-Canada :

#LeProfCorrige

Ici, il aurait fallu lire « pilule », et non « pillule ». Cette faute d’orthographe d’usage n’a pas sa raison d’être dans un texte publié sur le site de la société d’État.


Dans mes écouteurs

L’album Bruissement boréal est né de la rencontre entre la flûtiste Marie-Véronique Bourque et ma guitariste chouchou, Christine Tassan. Inspirée par les paysages du Québec et de la Saskatchewan, cette œuvre évoque le silence vibrant des grands espaces et la complicité musicale entre deux artistes à l’univers riche et complémentaire. Entre jazz, musique classique et touches de folk, l’album nous emporte dans un voyage sensoriel aussi apaisant qu’enchanteur.

Voici la pièce Bruissements.

Christine Tassan et Marie-Véronique Bourque – Bruissements – Bruissement boréal – #musiquebleue

La bonne nouvelle de cette semaine

Une grande première vient de se produire dans le monde du baseball canadien : Ayami Sato, une lanceuse japonaise de 35 ans, vient de signer un contrat avec les Maple Leafs de Toronto, une équipe de la ligue semi-professionnelle ontarienne IBL (Intercounty Baseball League). Cette embauche est pourtant lourde de sens : Sato devient la toute première femme à évoluer dans cette ligue réservée jusqu’ici aux hommes. Couronnée à plusieurs reprises meilleure joueuse de baseball féminin au monde, elle ne débarque pas comme une curiosité médiatique, mais bien comme une athlète aguerrie au palmarès impressionnant.

Avec une balle rapide atteignant 80 milles à l’heure et une courbe redoutablement efficace, Sato a mené l’équipe nationale féminine du Japon à cinq championnats mondiaux. Son arrivée au monticule des Maple Leafs dépasse le cadre du sport : elle envoie un signal clair que les frontières du genre peuvent et doivent continuer à s’estomper là où le talent s’impose. Voilà une belle bouffée d’air frais pour les jeunes filles qui rêvent de fouler les losanges du baseball professionnel, ainsi qu’un rappel que les portes fermées ne le restent jamais éternellement.


Billet du 9 mai 2025 : Déconstruire le stress

Il y a quelques années, mes collègues et moi avons eu le privilège d’assister à une formation donnée par la docteure Sonia Lupien. En pleine crise de la COVID-19, elle a offert à l’équipe scolaire une conférence intitulée « SPIN ton stress ». Son objectif était clair : nous outiller pour mieux comprendre et réduire le stress vécu par nos élèves dans un contexte sanitaire incertain et anxiogène. Inspirés par ses propos, mes collègues et moi avons ensuite mis sur pied une série d’ateliers pour aider nos élèves à gérer leur stress, notamment au moment délicat de la transition entre le primaire et le secondaire.

Neuroscientifique et directrice du Centre d’études sur le stress humain, Sonia Lupien a consacré sa carrière à l’étude du stress et de ses effets sur le cerveau. Selon ses recherches, une situation devient stressante lorsqu’elle contient un ou plusieurs des quatre ingrédients résumés par l’acronyme CINÉ : Contrôle faible, Imprévisibilité, Nouveauté et Égo menacé. Plus ces éléments sont présents, plus la réaction de stress est forte. Ce modèle simple nous aide à comprendre pourquoi certaines situations banales peuvent soudainement nous sembler accablantes.

Prenons un exemple concret. Un élève commence le secondaire dans une nouvelle école. Il ne connaît encore personne (nouveauté), ne sait pas exactement ce qui l’attend dans ses cours (imprévisibilité), ne peut pas choisir son horaire (faible contrôle) et redoute de ne pas être à la hauteur (égo menacé). C’est une situation typique où le stress est non seulement compréhensible, mais prévisible. Grâce au modèle CINÉ, enseignants et parents peuvent identifier les sources de stress et accompagner les jeunes de façon plus ciblée. Une fois les éléments repérés, on peut chercher à en diminuer l’impact : organiser une visite de l’école avant la rentrée, planifier des rencontres préparatoires avec des enseignants, mettre en place un système de mentorat ou encore valoriser les réussites pour renforcer la confiance. D’ailleurs, le fait d’avoir transmis ce modèle à mes élèves m’a permis de développer moi-même un réflexe salutaire : aujourd’hui, chaque fois que je ressens du stress, je passe mentalement en revue les composantes du SPIN ou du CINÉ, ce qui m’aide à désamorcer mes réactions.

Pour les enfants et les adolescents, madame Lupien a adapté le modèle en version SPIN : Sens du contrôle diminué, Personnalité menacée, Imprévisibilité, Nouveauté. Cet outil permet aux jeunes de mieux exprimer ce qu’ils vivent, et aux adultes de mieux intervenir. Comprendre le stress, c’est déjà commencer à l’apprivoiser. Et plus on l’intègre au quotidien, plus on outille nos élèves, et soi-même, à naviguer avec plus de calme dans les tempêtes de la vie.


Conseillance pédagogique en français

Avez-vous constaté une faute orthographique dans le bloc précédent ? Il y en aurait eu au moins une il n’y a pas si longtemps. Ce n’est en effet que depuis la plus récente rectification orthographique que le mot égo, avec un accent aigu, est accepté. Auparavant, la seule orthographe possible pour ce mot était ego.

On peut se demander s’il est utile de mettre l’accent sur un ego.


Dans mes écouteurs

Avec l’élection du pape Léon XIV, ce classique de Ferland, 55 ans plus tard, redevient très actuel.

Jean-Pierre Ferland – God Is an American – Jaune – #musiquebleue

La bonne nouvelle de cette semaine

Un nouveau chapitre s’ouvre pour le théâtre du Rideau Vert avec la nomination de Benoit McGinnis à la direction artistique. L’acteur, reconnu pour son intensité, sa rigueur et sa passion contagieuse pour les arts de la scène, succédera dès le mois d’août à la grande Denise Filiatrault, qui aura marqué cette institution pendant plus de deux décennies. À 47 ans, McGinnis incarne un juste équilibre entre respect du legs et désir de renouveau. Il voit dans cette nouvelle fonction l’occasion de faire rayonner le théâtre avec des idées contemporaines, audacieuses et rassembleuses, tout en poursuivant sa carrière d’interprète.

Sous sa gouverne, le Rideau Vert espère séduire une nouvelle génération de spectateurs sans perdre l’âme chaleureuse et accessible qui en fait un pilier de la scène culturelle montréalaise. L’arrivée de Benoit McGinnis coïncide aussi avec un changement à la direction générale, ce qui augure un souffle nouveau sur l’une des plus anciennes scènes francophones au Canada. L’élan de créativité et d’ouverture annoncé promet de belles surprises, et il est réjouissant de voir un artiste chevronné mettre son amour du théâtre au service d’un lieu aussi emblématique.


Billet du 2 mai 2025 : Dérapages

J’aurais pu titrer mon billet de cette semaine « Quand on crache en l’air, ça nous retombe sur le nez », mais c’eût été trop long. À titre court, histoires courtes. Nos personnalités politiques nous ont fourni du grand matériel en ce sens, au cours des derniers jours.

Un pays artificiel
Le chef du Bloc québécois, Yves-François Blanchet, s’est attiré les foudres des autres chefs de partis en déclarant que le Canada était un pays artificiel, sous prétexte qu’il regroupait des régions avec des problèmes et des besoins différents en un seul centre décisionnel, sa capitale. Ce faisant, monsieur Blanchet a décrit ce qui constitue également la réalité d’à peu près tous les pays d’Europe, la Chine, l’Inde, le Brésil, l’Australie et les États-Unis, pour ne nommer que ceux-là. Ça fait beaucoup de pays artificiels. En passant, ne serait-ce pas aussi vrai pour un Québec indépendant ?

Rabaisser les autres
Quand j’enseignais, j’expliquais souvent à mes élèves qu’on ne se valorise pas en rabaissant les autres. Pierre Poilievre a passé plus de deux ans à tirer à boulets rouges sur Justin Trudeau, à lui imputer tous les problèmes du Canada. Il avait réussi à convaincre les Canadiens et se dirigeait assurément vers le trône de premier ministre, avec une avance de près de 25 points dans les sondages. Mais voilà, Trudeau a décidé de partir, emportant la gale avec lui. Son successeur, Mark Carney, a rapidement déclenché des élections avant qu’on ne puisse lui reprocher quoi que ce soit. Résultat : Poilievre n’est pas premier ministre et n’est même plus député.

Réprimer plutôt qu’éduquer
Le ministre de l’Éducation, Bernard Drainville, a annoncé qu’à partir de septembre, les téléphones mobiles allaient être interdits sur le territoire de toutes les écoles primaires et secondaires, publiques et privées, du Québec. Inciter les élèves à faire autre chose qu’avoir les yeux sur un écran est bien en soi. Toutefois, le règlement ne prévoit aucune mesure parallèle pour contrer la cyberintimidation ou encourager les activités physiques, ludiques ou culturelles, les deux raisons principales du bannissement. On rate ici une belle occasion d’instruire et d’éduquer.

Civisme, avez-vous dit ?
« On veut instaurer une culture du civisme », a dit le ministre Drainville lors de la même conférence de presse, alors qu’il annonçait que tous les élèves devraient maintenant vouvoyer leurs enseignantes et enseignants. Le même jour, un échange peu édifiant impliquant son chef, le premier ministre François Legault, s’est déroulé à l’Assemblée nationale. Celui-ci a insulté à profusion la députation de Québec solidaire, refusant d’obtempérer aux demandes de la présidente, Nathalie Roy, de retirer ses paroles, mais en… vouvoyant les personnes à qui il s’adressait !

Le Journal de Montréal a diffusé un extrait vidéo du manque de civisme de celui qui veut instaurer une culture du civisme.

Rebaptiser Canadian Tire et Winners ?
Durant la même semaine, le ministre de la Langue française, Jean-François Roberge, va à l’encontre de l’ordonnance de l’Office québécois de la langue française en permettant l’affichage du Go ! Habs Go !, mais demande à toutes les bannières commerciales établies au Québec d’afficher leur nom avec une nette prédominance du français.

Laver son linge sale en famille
Il y a longtemps qu’on n’avait pas assisté à une chicane chez les souverainistes québécois. On s’en inquiétait presque. Après que Yves-François Blanchet ait tendu la main à Mark Carney afin de faire fonctionner la Chambre des communes, Paul St-Pierre Plamondon l’a publiquement rabroué en mentionnant que ce n’était pas le rôle des souverainistes de collaborer avec le premier ministre canadien, même dans le contexte des tensions avec l’administration américaine. Les souverainistes ont beau qualifier le Canada de pays artificiel, leurs chicanes intestines sont, elles, 100 % authentiques.


Dans mes écouteurs

Ayelet Rose Gottlieb, chanteuse et compositrice née à Jérusalem et installée à Montréal, évolue à la croisée du jazz, de la poésie et de l’expérimentation sonore. Ses projets, souvent inspirés par des textes anciens ou des expériences personnelles, donnent à la voix un rôle central et expressif. Avec elle, le souffle, le silence et les mots deviennent des matières premières musicales.

De son plus récent album, Dust, voici la pièce Demain dès l’aube.

Ayelet Rose Gottlieb – Demain dès l’aube – Dust – #musiquebleue

La bonne nouvelle de cette semaine

C’est à Québec, dans un ancien presbytère transformé en lieu haut en couleur, que la toute première Maison de la BD a vu le jour au Canada. Ce nouvel espace offre un vibrant hommage à un siècle de création, de l’audace d’Albéric Bourgeois, pionnier du phylactère en 1904, jusqu’aux succès internationaux de Julie Doucet, Denis Rodier et Alex A. Le rez-de-chaussée, en accès libre, regorge de trésors graphiques qui racontent l’évolution de la BD québécoise, depuis les dessins de catéchisme jusqu’à l’émergence d’icônes comme L’Agent Jean.

Mais cette maison n’est pas un musée figé : elle vit au rythme de sa communauté et de ses artistes. Ateliers, lectures, lancements, dessins animés et événements familiaux s’y succéderont dans une programmation dynamique pensée pour tous les publics. En plus de mettre en valeur les talents souvent ignorés ici, mais applaudis à l’étranger, la Maison de la BD vient confirmer la maturité d’un art longtemps considéré comme mineur. Enfin, elle célèbre avec éclat et fierté ce qui nous distingue et ce qui nous unit, un trait de crayon à la fois.


Billet du 25 avril 2025 : Compter dans son propre filet

L’Office québécois de la langue française est ma bible. Je consulte son site plusieurs fois par semaine pour défier les difficultés de la langue française ou m’assurer du bon emploi d’un mot ou encore d’une expression. L’OQLF est mon ami.

Toutefois, comme avec n’importe quel ami, des désaccords peuvent survenir. On peut même trouver franchement exagérées certaines de ses prises de position. Comme celle d’exiger de la Société de transport de Montréal (STM) qu’elle cesse de faire défiler Go ! Habs Go ! sur les panneaux électroniques de ses autobus, ou qu’elle le remplace par une expression d’encouragement en langue française. La STM a donc traduit littéralement l’expression et affiché Allez ! Canadiens, Allez ! sur les panneaux de ses véhicules. Sacrilège, d’un côté comme de l’autre.

D’une part, Go ! Habs Go ! constitue une interjection qui nous est propre, une façon bien à nous d’encourager notre équipe locale qui participe aux séries éliminatoires pour la première fois en quatre ans. Go ! est certes un anglicisme, mais il est tout de même inclus dans certains dictionnaires de la langue française, dont le Robert. Tout le monde comprend la signification de Go !, même celles et ceux qui ne parlent pas l’anglais. Quel âge aviez-vous la première fois que vous avez compris ce que 1-2-3 Go ! voulait dire ? Si vous répondez assurément l’âge préscolaire, vous faites partie de la moyenne des gens. Même chose si vous vous délectiez du fameux Go ! Go ! Go !, crié par Yvan Ponton, au début du générique de la populaire série Lance et compte.

Habs ? C’est le diminutif d’Habitants, le surnom qu’on donnait autrefois au Club de hockey Canadien. Plusieurs personnes pensent encore, à tort, faut-il le préciser, que le « H » dans le logo de l’équipe est là pour rappeler ce surnom. Il a beau être prononcé à l’anglaise, comme on utilise Sens pour les Sénateurs d’Ottawa, le mot d’origine est bien issu de la langue française.

Quant au Allez! Canadiens Allez!, la STM en a manqué une. D’abord, je suis d’avis que l’opinion publique se serait rangée de son côté si elle avait défié l’OQLF et maintenu le Go! Habs Go!, parce que cette expression est consacrée. Ensuite, la STM aurait voulu offrir au public l’expression la plus terne et guindée pour encourager le Tricolore qu’elle n’aurait pas trouvé mieux. À la limite, elle aurait pu proposer Allez Montréal! en lui adjoignant la chanson Le but, de Loco Locass. Et pourquoi ne pas, tant qu’à y être, plonger dans la nostalgie en ramenant le traditionnel Les Canadiens sont là!, précédé ou non du fameux Halte-là!.

Vouloir trop protéger la langue, c’est parfois oublier qu’elle appartient aussi à celles et ceux qui la parlent. Ça, même l’OQLF devrait le savoir. Go ! Habs Go!


#LeProfCorrige

Dure semaine grammaticale pour les médias québécois. D’abord, chez ceux de Québecor :

Source : TVA Nouvelles

Dans l’article, dès qu’on clique sur une des icônes en forme de camion rouge, une fenêtre s’ouvre et le mot « Déchets » est transcrit avec un accent circonflexe sur le deuxième e.

Après les médias de Québecor, Radio-Canada, deux fois plutôt qu’une, a aussi fait preuve d’un manque de rigueur orthographique. Sur Internet :

Source : Radio-Canada.ca

Ici, on aurait dû lire « avait évoqué l’idée ». Le verbe évoquer conjugué au plus-que-parfait, comme c’est le cas dans ce passage de l’article, doit comprendre le participe passé et non l’infinitif.

Puis à la télévision, suite à la mort du pape :

Le mot « pontife » s’orthographie avec un e en finale. Lundi, c’est en l’absence de cette voyelle que le mot est apparu souvent et longtemps à l’écran.

La qualité du français dans les médias est un dossier beaucoup plus important qu’un Go ! Habs Go ! sur un écran d’autobus. L’OQLF devrait en prendre note.


Dans le cours de musique

Allez Montréal ! Parce que j’ai évoqué cette chanson plus haut, parce que le Canadien est en séries éliminatoires et que, tirant de l’arrière 2-0, il a besoin d’encouragements, parce que cette pièce de Loco Locass est excellente, parce qu’elle est purement québécoise et parce que, malgré l’absence de Go !, notre dialecte y est bien présent et bien mis de l’avant, voici Le but.

Loco Locass – Le but – Le but – #musiquebleue

La bonne nouvelle de cette semaine

À l’UQAM, Mélanie Côté-Cyr ne se contente pas d’étudier les protéines — elle les transforme en alliées de la guérison. Cette brillante doctorante en biochimie conçoit des hydrogels à base de protéines, capables de soutenir la régénération cellulaire et d’accélérer la cicatrisation des plaies. Grâce à des matériaux issus de bactéries probiotiques et à une touche d’ingéniosité, elle crée de véritables structures de soutien biologiques qui pourraient révolutionner les soins cutanés. Avec son laboratoire à la fine pointe de la recherche et un flair indéniable pour l’innovation, Mélanie tisse déjà, molécule par molécule, un avenir plus doux pour nos blessures.

Mais elle ne s’arrête pas là ! Entre deux tests en laboratoire, elle rêve aussi à des applications environnementales : et si ces mêmes nanomatériaux pouvaient servir à nettoyer la planète, en dégradant des polluants comme les microplastiques ? De la santé humaine à celle de la Terre, il n’y a qu’un peptide de distance. La science, quand elle est portée par des esprits aussi curieux qu’engagés, a décidément le don de faire du bien sur toute la ligne.


Billet du 18 avril 2025 : Panem et circenses

En ce week-end de Pâques, pendant que plusieurs se régalent de chocolat et d’un peu de repos bien mérité, je me pose une question douce-amère : que reste-t-il de notre engagement citoyen, quand la démocratie doit s’effacer poliment devant un match de hockey ?

L’expression latine panem et circenses — du pain et des jeux — provient d’un poème satirique de Juvénal, écrit au IIe siècle. Elle dénonçait la manière dont les dirigeants romains parvenaient à maintenir la paix sociale : en donnant au peuple de quoi manger et de quoi se divertir, on détournait son attention des enjeux politiques. Cette logique, vieille de près de deux millénaires, n’a rien perdu de sa pertinence. Elle s’exprime aujourd’hui sous des formes bien plus sophistiquées : consommation de masse, réseaux sociaux omniprésents, compétitions sportives mondialisées et divertissements en continu. Pendant ce temps, les enjeux profonds — inégalités sociales, crise climatique, précarité du travail — peinent à occuper l’espace public.

En Amérique du Nord, la primauté du divertissement est particulièrement marquée. Les grandes ligues sportives, comme la NFL et la LNH, génèrent des passions collectives si intenses qu’elles éclipsent souvent les débats politiques les plus fondamentaux. Au Canada, le hockey occupe une place symbolique dans l’imaginaire collectif. Parallèlement, notre filet social, aussi imparfait soit-il, joue parfois le rôle du pain : tant qu’un confort minimal est maintenu, la pression pour un changement structurel demeure limitée. Pourtant, des crises majeures, comme celle du logement ou l’épuisement du personnel dans les services publics, exigeraient une mobilisation citoyenne bien plus soutenue.

Au Québec, cette dynamique prend une forme singulière. L’identité québécoise, nourrie par une histoire particulière, est portée par des symboles affectifs puissants. Le Canadien de Montréal n’est pas qu’un club de hockey : c’est un repère culturel, un point d’ancrage transgénérationnel. Nos nombreux festivals, notre vie culturelle foisonnante et nos événements publics constituent des fiertés légitimes. Mais ces moments de célébration peuvent aussi agir comme des circenses modernes : ils créent un sentiment collectif d’appartenance et de satisfaction, sans nécessairement favoriser la réflexion sur les défis structurels que nous avons tendance à repousser — comme le sous-financement chronique des écoles, les tensions autour de la langue française ou les enjeux liés à l’intégration des nouveaux arrivants.

Un fait récent illustre bien ce glissement : en pleine campagne électorale fédérale, le débat des chefs en français a été devancé de deux heures afin de ne pas entrer en concurrence avec un match du Tricolore. Cette décision soulève une question troublante : que dit-elle de nos priorités collectives ? Quand le calendrier démocratique s’ajuste à celui du sport professionnel, n’y a-t-il pas lieu de s’interroger ? Sommes-nous, comme les citoyens de la Rome impériale, trop absorbés par nos écrans, nos spectacles et nos passions sportives pour demeurer vigilants à l’égard de ceux qui gouvernent ? À l’heure où plusieurs démocraties vacillent, il est plus que jamais nécessaire de résister à la tentation du confort intellectuel, et de réaffirmer l’importance de la participation citoyenne dans la vie publique. Ce déplacement du débat, justifié au nom de l’auditoire, a d’ailleurs suscité quelques contorsions verbales… La commission des débats des chefs a dû patiner un brin pour expliquer sa décision, et ce n’était pas sur la glace du Centre Bell.


#LeProfCorrige

Je suis convaincu que les titreurs de Radio-Canada connaissent la bonne orthographe du mot « accueil ».

Je suis cependant moins convaincu qu’ils savent bien se relire.


#musiquebleue

Quand j’étais adolescent, il fallait reculer jusqu’aux années 1930 pour trouver une chanson cinquantenaire. La musique et les paroles pouvaient exceller, mais il en était autrement de la qualité sonore de l’enregistrement, les technologies de l’époque étant alors en plein développement.

Aussi incroyable que cela puisse paraître, cette semaine, l’album Si on avait besoin d’une cinquième saison, du groupe Harmonium, a célébré ses 50 ans. Il s’agissait, en 1975, d’une des premières incursions québécoises dans la musique progressive. Comme le reste de l’opus, la chanson Dixie a bien vieilli. Gâtons-nous !

Harmonium – Dixie – Si on avait besoin d’une cinquième saison – #musiquebleue

La bonne nouvelle de cette semaine

On a préféré perturber notre souper plutôt que le match du Canadien, mercredi, en devançant le débat des chefs, mais la Sainte-Flanelle a au moins remporté la victoire et ainsi assuré sa place en séries éliminatoires pour la première fois depuis 2021, alors qu’elle s’était rendue jusqu’en finale de la Coupe Stanley. Nous étions conscients à l’époque que c’était soit un heureux hasard, soit une conjonction astronomique remarquable. L’équipe possédait quelques bons joueurs, mais aucune profondeur. Carey Price, Shea Weber, Brendan Gallagher, Jake Evans et sûrement quelques autres jouaient en dépit d’importantes blessures et il était acquis que plusieurs éléments n’allaient pas revenir avec l’équipe l’année suivante.

Cette fois-ci, le Canadien a encore vu les portes se refermer in extremis derrière lui. Mais, contrairement à il y a quatre ans, ceci marque le début d’une longue période de succès pour la troupe de Martin St-Louis. Les joueurs sont jeunes, ils sont sous contrat pour longtemps, ils sont enthousiastes et ils ont faim. Est-ce que le précieux trophée de Lord Stanley reviendra sous peu dans la métropole québécoise, là où il s’est retrouvé 24 fois ? Peut-être. Peut-être pas. Quoi qu’il en soit, je demeure persuadé que le CH reprendra bientôt l’appellation depuis longtemps reléguée aux oubliettes : les Glorieux.


Billet du 4 avril 2025 : Entre mots et monuments

Cette semaine, La Presse publiait un article intitulé Un portrait inédit des fautes de français.1 On y découvre les résultats d’une analyse menée à partir de l’épreuve ministérielle d’écriture de 6e année, tenue en juin dernier. Un millier de copies ont été étudiées pour dresser un portrait fidèle des erreurs les plus courantes chez les jeunes Québécois.

Sans surprise, les fautes les plus fréquentes concernent la graphie des mots (anfent, actualitée), les accords en nombre ou en genre, ainsi que les erreurs liées aux pronoms sujets (tu pourraient, on aurais). Plus de 87 % des élèves ont commis au moins une faute d’orthographe lexicale, et 70 % ont rédigé un texte d’environ 300 mots, ce qui représente un bel effort à cet âge.

Mais ce que soulignent les spécialistes consultés dans l’article, c’est que ces erreurs ne sont pas nécessairement le signe d’un effondrement de la qualité du français. Bien au contraire. Elles révèlent surtout un manque de pratique, une exposition inégale à la langue écrite et un accès inconstant aux outils de référence (dictionnaires, grammaires, Bescherelle).

Il appartient aussi aux familles, aux adultes et à l’ensemble des milieux fréquentés par les jeunes de valoriser la langue écrite. Lire à haute voix, encourager l’écriture à la maison, prendre le temps de relire un message avant de l’envoyer, modéliser une attitude respectueuse envers la qualité du français — tous ces gestes quotidiens comptent. Ils créent un contexte où la langue n’est pas seulement un objet scolaire, mais un outil de communication soigné et partagé.

Réviser ce qu’on écrit devrait devenir une norme sociale, pas un geste réservé aux seuls examens. Tant que les fautes seront perçues comme sans importance en dehors de l’école, le message envoyé aux jeunes sera contradictoire : on leur demande la rigueur à l’école, mais on banalise les écarts partout ailleurs. La cohérence sociale est essentielle si l’on veut que l’écriture reste un outil de crédibilité, de clarté… et de citoyenneté.

1 Larin, Vincent. Un portrait inédit des fautes de français. La Presse, Montréal. Le 2 avril 2025.


Dans le cours d’univers social
Volet éducation à la citoyenneté

Il y a plusieurs années, je dirigeais un site de nouvelles sur Internet. À chaque élection, l’équipe et moi préparions un résumé des engagements électoraux des partis politiques, pour chacun des thèmes de la campagne. Sur un blogue hebdomadaire que je gère en solo, je suis heureux de constater que je n’aurai pas à me taper tout ce travail, puisque le quotidien Le Devoir nous offre ce service dans le cadre de la présente élection fédérale. La page est actuellement bien garnie, mais incomplète, car elle se bonifiera au fur et à mesure que les partis procéderont à leurs annonces.

Je dépose ici le lien pour y accéder.

Comparez les promesses des partis aux élections fédérales 2025 – Le Devoir


Dans le cours de musique

Le groupe saguenéen Blanc Dehors revient en force avec Diaphane, un album à la fois vaporeux et percutant, où les échos de la cold wave et du post-punk se teintent d’une poésie brute et lumineuse. Fidèle à son esthétique sombre et rêveuse, le quintette y explore les zones floues de l’existence. La pièce Nuit dense, en particulier, incarne à merveille cette tension avec la voix éthérée de Caroline Tremblay. Diaphane confirme que Blanc Dehors s’impose désormais dans le paysage musical québécois.

Blanc Dehors – Nuit dense – Diaphane – #musiquebleue

La bonne nouvelle de cette semaine

Et si la technologie devenait un pinceau pour retoucher les merveilles du passé ? C’est exactement ce que proposent certains artistes et entreprises, comme Studio Drift, en alliant drones, savoir-faire et amour du patrimoine. Grâce à ces innovations, des monuments emblématiques comme la Sagrada Familia en Espagne, l’abbaye de Whitby en Angleterre ou même le Colisée à Rome retrouvent des fragments perdus de leur splendeur d’origine. Les drones capturent les moindres détails architecturaux, permettant des reconstitutions numériques ou physiques d’une précision étonnante. Loin d’être de simples gadgets, ces outils deviennent des alliés sensibles au service de la mémoire collective.

Ce mariage entre art et technologie ne se contente pas de préserver : il émerveille. En reconstituant les éléments manquants avec grâce, ces projets nous offrent une nouvelle façon d’admirer les chefs-d’œuvre du passé, tout en respectant leur histoire. C’est une invitation à voyager dans le temps, à travers des expériences visuelles qui nourrissent l’imaginaire. Une belle preuve que l’innovation, lorsqu’elle est guidée par la beauté et la culture, peut illuminer le monde avec douceur et justesse.


Billet du 28 mars 2025 : Faire bande à part

Les faits :

Il existe des consortiums de médias unis pour offrir une couverture impartiale des débats des chefs lors des élections, tant fédérales que provinciales. Pour les campagnes électorales canadiennes, le consortium est formé des médias suivants :

  1. CBC/Radio-Canada (anglais et français);
  2. CTV (Bell Media);
  3. Global News (Corus Entertainment);
  4. The Toronto Star;
  5. La Presse;
  6. Le Devoir;
  7. APTN (Aboriginal Peoples Television Network);
  8. L’Assemblée de la francophonie de l’Ontario;
  9. La chaîne CPAC (Cable Public Affairs Channel).

Deux autres médias ont déjà fait partie de ce consortium. Le HuffPost Québec, qui a fermé ses portes en 2021, ainsi que le réseau TVA, qui a choisi de quitter le groupe médiatique en 2012 pour faire bande à part et présenter ses propres débats.

Évoquant une situation financière difficile, le réseau TVA a demandé au Parti libéral du Canada (PLC), au Parti conservateur du Canada (PCC), au Nouveau Parti démocratique (NPD) et au Bloc québécois (BQ) de défrayer une partie des coûts de production de son débat 2025, à teneur de 75 000 $ chacun. Trois partis ont accepté, mais le PLC ayant refusé, le débat de TVA n’aura pas lieu.

Ceci a valu à Mark Carney, chef du PLC, d’être qualifié de « fragile et faible » par Pierre Poilievre, et de se faire accuser de « se foutre des Québécois » par Yves-François Blanchet.

Ce que j’en pense :

Carney a bien fait. Louer une table dans un marché de fruits et légumes pour y vendre ses récoltes est une chose. Assumer les frais de production d’un diffuseur qui a choisi de faire bande à part en est une autre.

En fait, je considère qu’aucun chef de parti n’aurait dû accepter. Le précédent aurait sans doute eu ses suites. TVA aurait probablement récidivé lors des élections subséquentes, ce qui aurait assurément fini par créer un malaise avec les autres médias. Et puis, sincèrement, il y a comme une incongruité à payer pour aller débattre.

Je rappelle aussi que cinq partis politiques sont actuellement représentés à la Chambre des communes. TVA n’invitait les chefs que de quatre d’entre eux. Lors des deux débats du consortium, six chefs seront conviés à débattre.

Carney est-il « fragile et faible » en raison de son refus de participer au débat de TVA ? Non. Il sera des deux débats du consortium. Est-ce qu’il « se fout des Québécois » pour la même raison ? Non plus. Les deux débats auxquels il participera se tiendront à Montréal, Québec.


Dans mon cahier de planification

On a parfois tendance à les mettre de côté, mais les émotions sont des actrices clés de l’apprentissage, surtout chez nos jeunes en pleine croissance. Après de belles années passées sur le terrain, j’ai pu constater à quel point la joie et la curiosité peuvent transformer une leçon ordinaire en une véritable aventure intellectuelle. Quand un élève est engagé émotionnellement, son cerveau est plus alerte, plus réceptif, et l’acquisition de nouvelles connaissances se fait de manière beaucoup plus naturelle et durable. À l’inverse, le stress ou l’anxiété peuvent créer des blocages importants, rendant l’apprentissage plus difficile et moins agréable. Un environnement scolaire où l’on se sent en confiance et valorisé est donc essentiel pour favoriser des émotions positives, véritables moteurs de la réussite. Développer son intelligence émotionnelle, c’est-à-dire apprendre à identifier et à gérer ses propres émotions tout en comprenant celles des autres, devient alors une compétence fondamentale qui dépasse largement les murs de la classe.

Intégrer la dimension émotionnelle dans l’enseignement, ce n’est pas juste une question de bien-être, c’est une stratégie d’apprentissage efficace. Proposer des activités variées, encourager l’expression des sentiments et aider les élèves à développer des stratégies d’adaptation émotionnelle contribuent à créer un lien plus profond avec ce qu’ils apprennent. Il faut savoir que nos émotions ont un impact direct sur le fonctionnement de notre cerveau, activant les zones liées à la mémoire et à l’attention. Grâce à la plasticité cérébrale, cette incroyable capacité de notre cerveau à se façonner en fonction de nos expériences, un environnement émotionnellement favorable stimule des connexions neuronales plus fortes et un apprentissage plus profond. En fin de compte, prendre en compte les émotions à l’école, ce n’est pas une option, mais une nécessité pour former des jeunes équilibrés, motivés et prêts à relever les défis de demain.


Dans le cours de musique

Le talentueux duo formé de Catherine Major et Jean-François Moran nous livre enfin leur premier album collaboratif, Bunker à ciel ouvert. Loin d’être un simple projet de couple, cet opus est une véritable immersion dans leur univers intime et créatif. Les mélodies riches et les arrangements soignés de Catherine Major se marient à la perfection aux textes poétiques et profonds de Moran, son complice de longue date et père de ses enfants. Chaque chanson est une fenêtre ouverte sur leur vision du monde. Voici La coda, la pièce d’ouverture de l’album.

Catherine Major et Jean-François Moran – La coda – Bunker à ciel ouvert – #musiquebleue

La bonne nouvelle de cette semaine

Dans la ville pittoresque de Nara, au Japon, un professeur d’art nommé Hirotaka Hamasaki a trouvé une manière unique et inspirante de captiver ses élèves. En utilisant les feuilles mortes aux teintes vives de l’automne, il crée des œuvres d’art représentant des personnages bien-aimés de la culture populaire, tels que Pikachu ou Winnie l’Ourson. Cette initiative artistique non seulement éveille l’intérêt des élèves pour l’art, mais transforme également la salle de classe en un espace de créativité et de collaboration. Les élèves participent activement en suggérant les personnages qu’ils souhaitent voir prendre vie, rendant le processus encore plus amusant et engageant.

Grâce à cette approche innovante, Hirotaka Hamasaki a réussi à créer un environnement d’apprentissage dynamique où l’imagination et l’art se rencontrent. Ses créations, qui apportent une touche de fantaisie et de magie à l’école, ont non seulement gagné l’admiration de ses élèves, mais ont également attiré l’attention de la communauté locale. En intégrant l’art dans le quotidien scolaire de manière aussi ludique et interactive, ce professeur talentueux a su faire de chaque jour une nouvelle aventure artistique, laissant une empreinte durable dans le cœur de ses élèves.

Pour découvrir ses œuvres, visitez son profil Instagram : @hamacream.