Billet du 19 décembre 2025 : Butte de neige, mode d’emploi

Chaque hiver, la même magie opère. Un camion passe, pousse la neige, et sans qu’on ait besoin d’un décret ni d’un comité, une cathédrale blanche apparaît dans la cour d’école. Une butte. Une vraie. Le seul module de jeu qui se construit tout seul, version québécoise, édition limitée, avec garantie « fondue » au printemps. Et voilà qu’on nous annonce que, pour laisser les élèves y jouer, il faudra désormais sortir le ruban à mesurer. Pas pour un projet de rénovation. Pour une butte de neige.

On peut déjà imaginer la scène : la neige tombe, les élèves rêvent, et l’école, elle, se retrouve à gérer des pourcentages de pente, des zones de remontée, des inspections, des registres, des plans de surveillance, des consignes, des rotations. Une butte n’est pas sans risques, bien sûr, mais il se trouve des risques partout et de toutes les natures, y compris dans ce qu’on croit parfaitement « encadré ». Autrement dit, on transforme un plaisir spontané et saisonnier en activité sous protocole. Et comme souvent, la conséquence la plus probable n’est pas l’application parfaite de la mesure, mais l’abandon pur et simple : trop lourd, trop risqué, trop compliqué. Résultat net : une cour plus ennuyeuse, une récréation plus grise, et des élèves privés d’un des rares plaisirs d’hiver qui ne coûte rien.

Et pendant qu’on ajoute cette couche de gestion, on oublie un autre morceau du casse-tête, beaucoup plus terre-à-terre : les obligations de prévention des chutes, qui concernent aussi les adultes. Sur le terrain, cela veut souvent dire des crampons sous les bottes à l’extérieur tant que la neige ou la glace rendent le sol glissant, puis des crampons à retirer dès l’entrée pour ne pas abîmer les planchers. Ça a l’air banal, mentionné comme ça, mais c’est un rituel de plus, une contrainte de plus, une responsabilité de plus, répété le matin, midi, après-midi, jour après jour. La sécurité, bien sûr. Mais à force d’empiler des règles sur ce qui devrait rester simple, on finit par sacrifier, au nom de la prudence, ce qui donnait à l’hiver sa part de plaisir et de légèreté.


Dans mes écouteurs

Aurons-nous un Noël blanc, cette année ? Il semble que oui. Je plonge donc dans mes plus lointains souvenirs d’enfance pour vous proposer la version de ce classique du percussionniste et chef d’orchestre d’origine montréalaise, Herman Apple.

Il n’y a rien de tel qu’un Noël blanc pour alimenter les buttes de neige dans les cours des écoles !

Herman Apple – Noël blanc – Fantaisie de Noël – #musiquebleue

La bonne nouvelle de cette semaine

Le 18 décembre, la mairesse de Montréal, Soraya Martinez Ferrada, a annoncé avoir dépassé l’objectif promis, soit 530 nouvelles places en haltes-chaleur, qui s’ajoutent aux 2 472 déjà prévues par le réseau de la santé, pour près de 3 000 places au total sur l’île. Ce n’est pas qu’un chiffre, c’est autant de nuits où l’on réduit concrètement le risque de voir des gens affronter le grand froid dehors. Et derrière l’annonce, il y a quelque chose de franchement réconfortant : une mobilisation citoyenne remarquable, des Montréalaises et des Montréalais qui donnent manteaux, matériel, et même des locaux. Quand une ville se serre les coudes, cela finit par se voir et, surtout, par se sentir.

Et l’espoir ne s’arrête pas à l’urgence de l’hiver. À peine quelques jours plus tôt, les gouvernements du Canada et du Québec, la Ville de Montréal et le Fonds de solidarité FTQ confirmaient le financement de cinq projets d’habitation communautaire totalisant plus de 100 nouveaux logements, portés par des organismes qui connaissent le terrain, dont la Mission Old Brewery et la Maison St-Dominique. On parle ici de milieux de vie pensés pour reconstruire, avec du soutien et de l’accompagnement, pas seulement pour dépanner. Un projet comme Saint-André ajoutera 32 nouvelles chambres dès mars 2026, ce qui représente 32 parcours de vie appelés à retrouver dignité et stabilité. Dans le fond, la bonne nouvelle, c’est peut-être cela : Montréal qui répond à l’itinérance avec deux mains à la fois, une pour réchauffer ce soir et l’autre pour rebâtir demain.

À toutes et à tous, un très heureux temps des Fêtes !


L’image qui accompagne ce billet a été générée par l’intelligence artificielle générative.

Billet du 5 décembre 2025 : L’école du tri précoce

On apprend que, dans certaines écoles secondaires du Québec, le bulletin de 4e année du primaire est désormais utilisé comme critère de sélection à l’entrée du secondaire.1 Quatrième année. Des enfants de 9 ou 10 ans. On ne parle plus ici d’un simple outil d’observation, mais bien d’un premier filtre. D’un avant-goût de classement. D’une décision qui, dans certains cas, pèsera plus lourd que bien des efforts ultérieurs.

Officiellement, on invoque une « meilleure lecture du parcours », une « vidéo plutôt qu’une photo ». L’image est séduisante. Elle donne l’impression qu’on agit pour mieux comprendre l’élève et pour mieux l’accompagner. Mais derrière ce vernis rassurant se dessine une réalité plus brutale. La sélection scolaire commence de plus en plus tôt, et avec elle, le stress, l’angoisse de performance et la peur de ne pas être à la hauteur dès le primaire.

Cette pratique, de plus en plus répandue dans le réseau privé, n’est pas sans effet sur l’ensemble du système. Elle alimente directement la logique de l’école à trois vitesses. À ceux qui performent tôt, et dont les familles ont souvent les moyens de payer, les écoles privées, les programmes particuliers et les parcours valorisés. Aux autres, le régulier, avec ce que cela suppose parfois de portes qui se referment plus vite que prévu. Loin d’atténuer les inégalités, cette mécanique contribue à les organiser, les stabiliser et les rendre plus précoces.

Dans son livre Séparés mais égaux 2, Christophe Allaire Sévigny rappelle que cette ségrégation scolaire n’est pas seulement un problème du présent. Elle constitue une hypothèque lourde sur l’avenir. En séparant les élèves tôt, on fragmente la société de demain. On affaiblit la mixité sociale. On creuse les écarts. On prépare non seulement des parcours scolaires inégaux, mais aussi une cohésion sociale plus fragile et une démocratie plus vulnérable.

Le recours au bulletin de 4e année devient ainsi un geste administratif en apparence banal, mais qui agit comme un puissant levier de tri social précoce, dont les effets dépasseront largement les murs de l’école.

On pourra toujours dire qu’il ne s’agit que d’un critère parmi d’autres. Peut-être. Mais quand on commence à trier à 9 ans, il faut avoir le courage de regarder plus loin que le prochain bulletin. Quelle école sommes-nous en train de bâtir, et quelle société sommes-nous en train de préparer ?

1 Marquis, M. (2025, 3 décembre). Admission au secondaire. Le bulletin de 4e année comme critère de sélection. La Presse.

2 Allaire Sévigny, C. (2025). Séparés mais égaux. Enquête sur la ségrégation scolaire au Québec. Lux Éditeur.


Dans mes écouteurs

Artiste québécois d’origine marocaine, à la fois humoriste, rappeur et auteur, Adib Alkhalidey propose avec Plexus lunaire un album à l’univers planant, où se croisent hip-hop, rock et jazz. L’album explore avec lucidité et poésie des thèmes comme la transformation personnelle, l’amour, la guerre et la survie, à travers des pièces marquantes, confirmant pleinement son identité musicale engagée et sensible.

Voici la pièce Là où la vie est belle.

Adib Alkhalidey – Là où la vie est belle – Plexus lunaire – #musiquebleue

La bonne nouvelle de cette semaine

La nature nous fait un clin d’œil et il sent le sous-bois. On apprend que des chercheurs québécois utilisent des champignons pour dépolluer des sols, de l’eau et même du bois imbibé de substances toxiques. Grâce à leur impressionnant réseau de filaments appelé le mycélium et à leur remarquable capacité enzymatique, certains champignons peuvent dégrader des hydrocarbures, des pesticides, certains explosifs et même des produits pharmaceutiques. D’autres agissent comme de véritables éponges écologiques en stockant les métaux lourds. Oui, parfois, sauver la planète commence tout simplement par laisser pousser des champignons.

Mieux encore, du côté de la Côte-Nord, une expérience a permis d’isoler plus d’une centaine de souches de champignons sur du bois de traverses de chemin de fer que l’on croyait complètement stérile. Une véritable explosion de vie là où on ne l’attendait plus. Certes, la mycoremédiation demande de la patience et de la prudence, mais elle est plus douce pour l’environnement, moins coûteuse et porteuse d’avenir. Il s’agit d’une solution qui pousse lentement, mais sûrement. Comme quoi, même sous nos pieds, l’espoir est déjà en train de germer.


L'image qui accompagne ce billet a été générée par l'intelligence artificielle.