Billet du 24 octobre 2025 : Parler vrai, écrire juste

Le récent article de TVA Nouvelles intitulé « Le français et les affaires : dérapage linguistique dans une publicité de pneus d’hiver » 1 soulève une fois de plus un malaise bien réel : celui de la banalisation des fautes de français dans l’espace public. L’affiche de Point S, avec son tristement célèbre « Attends pas qui neige », en est l’illustration parfaite : une erreur qu’on justifie au nom de l’authenticité et du langage du peuple. Or, comme le rappelait Gilles Vigneault, « la meilleure façon de défendre une langue, c’est de la parler bien, de l’écrire le mieux possible et de la lire beaucoup ». Ce n’est pas en tolérant les dérapages linguistiques qu’on rend hommage à notre langue, mais bien en la pratiquant avec rigueur et respect.

Et ce n’est pas un cas isolé. Il suffit de regarder sur l’autoroute le panneau annonçant l’émission de Benoit Dutrizac sur QUB Radio, avec le mot inventé Imbullshitable, pour comprendre à quel point on confond désormais créativité et irrespect. On joue avec les mots comme on joue avec le feu, sans se rendre compte qu’à force de les tordre, on finit par brûler le sens. Certains trouvent ça drôle, d’autres y voient une signature culturelle. Moi, j’y vois un glissement inquiétant : celui d’un peuple qui se dit fier de sa langue, mais qui applaudit ou hausse les épaules quand on la défigure. Ce mélange de complaisance et d’indifférence mine lentement la valeur symbolique du français, comme si l’exactitude était dépassée.

Michel Tremblay, lui, a compris la nuance. Il a osé faire parler ses personnages en joual, notre dialecte bien à nous, mais ses narrations, elles, sont écrites dans un français irréprochable. Et lorsqu’il s’exprime en entrevue, son langage est clair, précis, et respectueux des règles. C’est cette frontière, essentielle mais de plus en plus brouillée, qui fait la richesse de son œuvre et la force de notre identité.

Alors je pose la question : quelle langue voulons-nous défendre ? Celle que l’on malmène au nom d’une fausse proximité avec le peuple ou celle que l’on honore par le soin, la nuance et la justesse ? Quand on affiche un slogan truffé de fautes sur un panneau de dix mètres ou qu’on érige l’anglicisme en stratégie de marketing, on n’est plus dans la créativité, on est dans la négligence. Défendre le français, c’est aussi défendre sa qualité. Parce qu’une langue qu’on maltraite finit par se taire.

1 Côté, G. (2025, 12 octobre). Le français et les affaires : dérapage linguistique dans une publicité de pneus d’hiver. TVA Nouvelles.


Dans mes écouteurs

Vanille, de son vrai nom Rachel Leblanc, est une auteure-compositrice-interprète montréalaise qui cultive un univers à la fois romantique et empreint de nostalgie. Inspirée par la chanson française des années 1960, le folk californien et la pop ensoleillée d’un autre temps, elle tisse des mélodies douces où s’entremêlent guitare feutrée et mélodies rêveuses. Elle vient de faire paraître Un chant d’amour, un troisième album délicat et lumineux, où chaque morceau semble suspendu entre mélancolie et légèreté.

Voici la pièce Ce n’est pas ici, ce n’est pas ailleurs.

Vanille – Ce n’est pas ici, ce n’est pas ailleurs – Un chant d’amour – #musiquebleue

La bonne nouvelle de cette semaine

Dans la même semaine, Leylah Annie Fernandez a triomphé au Japon, Félix Auger-Aliassime a remporté le tournoi de Bruxelles et les Blue Jays de Toronto ont assuré leur place en Série mondiale.

Le sport nous libère des tensions.


Billet du 10 octobre 2025 : L’espoir au fil de l’eau

Durant trois jours cette semaine, les résidents de Blainville et de Sainte-Thérèse ont dû faire bouillir leur eau avant de la consommer. La raison ? Le niveau anormalement bas de la rivière des Mille-Îles, au point où il n’était plus possible de maintenir une quantité minimale de chlore dans le réseau d’aqueduc. À certains endroits, la rivière semble avoir disparu : un lit de boue, quelques flaques d’eau isolées, des poissons prisonniers du néant. Des résidents âgés affirment n’avoir jamais vu la rivière aussi basse de toute leur vie. Le décor qu’on admire habituellement pour ses reflets argentés et ses hérons tranquilles s’est soudain mué en paysage d’alerte. L’eau, ce fil invisible qui relie la vie, la santé et le quotidien a rappelé sa fragilité. Ce qui paraissait acquis ne l’est plus.

Cette scène, pourtant locale, résume à elle seule l’ampleur du problème. Le dérèglement climatique ne se mesure plus seulement en degrés, mais en gestes quotidiens : faire bouillir l’eau, éviter les feux à ciel ouvert, surveiller les restrictions d’arrosage. Dans une entrevue récente, David Suzuki rappelait que l’humanité a déjà franchi sept des neuf « limites planétaires » identifiées par la science, celles qu’il ne fallait surtout pas dépasser. 1 « Nous devrions être terrifiés si nous dépassons une seule de ces limites », dit-il, en appelant à des « mesures héroïques » d’ici cinq ans. Il parle de limites planétaires, mais elles se traduisent ici par des rivières à sec, des forêts surchauffées, des sols épuisés. Le monde ne s’effondre pas d’un seul coup : il s’effrite par petites fissures, si fines qu’on ne les remarque que lorsqu’elles atteignent nos robinets.

Ce n’est donc pas seulement la rivière qui s’assèche : c’est aussi la patience collective. David Suzuki croit que l’espoir réside désormais dans les collectivités locales, celles qui refusent de se taire, qui se mobilisent, qui exigent transparence et cohérence. Peut-être que le salut viendra de ces citoyens ordinaires qui observent, documentent, échangent et refusent de croire que tout est déjà perdu. Ce ne sont plus des militants au sens traditionnel du terme, mais des gens qui ont compris que la défense du vivant commence au coin de leur rue. Pendant que l’eau perd sa transparence, c’est à nous de retrouver la nôtre, avant qu’elle ne devienne définitivement trouble.

1 Champagne, É.-P. (2025, 31 août). Entrevue avec David Suzuki : « Nous devrions être terrifiés ». La Presse.


#LeProfCorrige

Le 2 octobre dernier, un titre contenant deux fautes coiffait un article publié par La Presse.

Il aurait fallu lire Les premières livraisons, le nom livraisons donnant son genre et son nombre au déterminant et à l’adjectif numéral. Le titre a fini par être corrigé, mais plus d’une journée après sa parution.


Dans mes écouteurs

En mai dernier, Stéphane Archambault lançait son premier album solo, Point. Si le son et le rythme s’avèrent plus pop que la musique traditionnelle québécoise qui l’a fait connaître, on y retrouve quand même la poésie et quelques effluves harmoniques de Mes Aïeux, dont il demeure le chanteur.

Voici la pièce Point tournant.

Stéphane Archambault – Point tournant – Point – #musiquebleue

La bonne nouvelle de cette semaine

Parfois, la vie tient à un souffle, et ce souffle revient grâce à cinq paires de mains tendues. Le 22 août dernier, sur un terrain de balle-molle de Brossard, le lanceur François Fleury, 66 ans, s’est effondré, victime d’un arrêt cardiaque. Pendant onze longues minutes, cinq personnes — Pier-Alexandre, Cloé, Vanessa, Katerina et Gabriel — ont uni leurs forces pour refuser l’inacceptable. Tandis que les uns pompaient le cœur de François à bras nus, Gabriel courait, forçant par miracle la seule porte d’une école pour trouver un défibrillateur. Une décharge plus tard, le cœur de François repartait. Ce soir-là, la partie s’était arrêtée, mais l’esprit d’équipe, lui, n’avait jamais été aussi fort.

Quelques semaines plus tard, les héros se sont retrouvés sur le même terrain, les yeux pleins d’émotion et le cœur plus grand que jamais. François a remercié, ému, ceux qui lui avaient rendu la vie. Aujourd’hui, il parle de nature, de sa famille, de son chien Ballou et de la joie simple de respirer. Sa leçon tient en une phrase : « Quand tu es en bonne santé, tu es millionnaire. » Cette histoire n’est pas seulement celle d’une résurrection, mais celle d’une humanité qui persiste : altruiste, coopérative et tissée serré, comme une équipe qui refuse de perdre.

Source : Poirier, J.-F. (2025, 8 octobre). Mort pendant 11 minutes, un lanceur est ressuscité sur le terrain. Radio-Canada.