Billet du 27 juin 2025 : Lettre à Bernard Drainville

Monsieur Drainville,

Lundi dernier, en point de presse tôt le matin, l’exécutif de la Fédération autonome de l’enseignement (FAE) a réclamé votre départ à titre de ministre de l’Éducation. Plus tard en journée, vous leur avez répondu ceci, à partir de votre compte Facebook :

Une réponse courte, à laquelle je n’apporterai aucun autre qualificatif, mais qui suscite chez moi plusieurs éléments de réplique. Je ne sais pas trop par où commencer, alors je vous laisserai m’imposer l’ordre en y allant chronologiquement.

« Je n’ai pas de leçon à recevoir d’un syndicat qui a privé nos enfants d’école pendant 5 semaines de grève et qui utilise l’argent de ses membres pour contester la loi sur la laïcité. »

Vos premiers mots m’incitent à commencer par une boutade. Personne n’est mieux placé que les enseignantes et les enseignants pour donner des leçons. C’est leur travail. Le problème, et vous devez en assumer une part de responsabilité, c’est qu’il s’en trouve de plus en plus pour le faire sans détenir de brevet d’enseignement. Malgré cette lacune importante, vous avez trouvé une façon d’en « qualifier légalement » un grand nombre, avec une manipulation administrative que Radio-Canada a dévoilée, cette semaine. 1

« Je n’ai pas de leçon à recevoir d’un syndicat qui a privé nos enfants d’école pendant 5 semaines de grève et qui utilise l’argent de ses membres pour contester la loi sur la laïcité. »

Dois-je vous rappeler, monsieur Drainville, que ce syndicat bénéficiait d’un vaste appui populaire durant ces cinq semaines de grève ? Malgré ce qu’il leur en coûtait, les familles réalisaient les piètres conditions du système d’éducation dans lequel ils envoient leurs enfants au quotidien. Et c’est au gouvernement, beaucoup plus qu’aux syndicats de l’enseignement, qu’ils en imputaient la responsabilité.

Vous déteniez d’ailleurs le pouvoir de mettre fin à cette grève en tout temps, par une loi spéciale adoptée grâce à votre majorité à l’Assemblée nationale ou par décret. Si vous aviez réellement cru à ce point en la gravité de la situation, j’ose croire que vous l’auriez fait.

« Je n’ai pas de leçon à recevoir d’un syndicat qui a privé nos enfants d’école pendant 5 semaines de grève et qui utilise l’argent de ses membres pour contester la loi sur la laïcité. »

La FAE a été le syndicat qui m’a représenté durant une grande partie de ma carrière. Croyez-moi, je me suis maintes fois opposé à certaines de ses positions. Mais cette fois-ci, j’accueille favorablement sa démarche devant les tribunaux. Je suis entièrement en faveur de la laïcité de l’État. La FAE l’est aussi, du moins en principe. Ce qu’elle conteste, c’est la disposition qui empêche plusieurs de ses membres de porter certains signes religieux au travail. Ces personnes paient des cotisations, comme les autres. Elles ont le droit d’être défendues.

« L’école existe pour nos enfants, nos élèves.
C’est pour eux que je me bats, jour après jour. »

Ici, monsieur Drainville, j’aurais besoin de précisions. Les enseignantes et les enseignants se battent quotidiennement pour leurs élèves. Les professionnels de l’éducation également. Comme les directions d’écoles. Les orthopédagogues, les techniciennes en éducation spécialisée, les aides pédagogiques, le personnel des services de garde, tous ces gens se dévouent pour les élèves. Je le sais, je suis sur le terrain depuis plus de 30 ans.

Vous êtes ministre de l’Éducation depuis près de trois ans. Je cherche encore une situation où je vous aurais vu vous battre à nos côtés. Quand vous affirmez le faire jour après jour, j’aimerais des exemples. Parce que ceux que j’ai en tête vont dans l’autre sens.

Vous avez beau prétendre qu’il n’y a pas de coupes en éducation, il est difficile de vous croire quand les montants précis nous ont été communiqués. Et de refuser de garantir que chaque élève recevra les services éducatifs auxquels il a droit donne plutôt à penser que le camp que vous avez choisi est celui des politiques de votre gouvernement, pas celui des élèves. 2

Les centres de services scolaires, pris en étau entre les directives ministérielles et les compressions budgétaires déguisées, n’ont souvent d’autre choix que de jongler avec les ressources pour limiter les dégâts.

« Je vais continuer. »

Autorisez-moi donc une suggestion : faites-le avec les personnes qui ont réellement une passion pour l’éducation, et non avec celles qui l’évoquent seulement pour des raisons électorales. Et surtout, faites-le sur le terrain. Parce qu’actuellement, l’image que les gens du milieu se forgent de leur ministre reflète la condescendance et la méconnaissance des dossiers. Et quand, au gré de certaines déclarations maladroites, vous les avez heurtés sur leur salaire 3, leur tâche 4 ou leur formation 5, il m’est difficile de les blâmer.

Veuillez agréer, monsieur Drainville, l’expression de mes sentiments distingués.

Jean-Frédéric Martin, pédagogue

1 Bussières McNicoll, F. (2025, 26 juin). Plus d’enseignants légalement qualifiés « par magie ». ICI Radio‑Canada. https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2175568/enseignants-legalement-qualifies-regles-quebec

2 98.5 Montréal. (2025, 18 juin). « Je ne peux pas garantir que chaque élève va avoir tout ce dont il a besoin » [Fichier audio]. https://www.985fm.ca/audio/706665/je-ne-peux-pas-garantir-que-chaque-eleve-va-avoir-tout-ce-dont-il-a-besoin?utm_term=Autofeed&utm_medium=Social&utm_source=Threads%23Echobox%3D1750251426

3 Radio‑Canada. (2023, 17 mai). Salaire des enseignants : Le ministre Bernard Drainville dans la tourmente [Texte en ligne]. Consulté le 27 juin 2025, sur https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1980263/controverse-drainville-salaire-professeur

4 Le Devoir. (2023, 17 août). Éducation : les classes de maternelle sont moins exigeantes, dit Drainville. Le Devoir. Repéré à https://www.ledevoir.com/societe/education/796435/education-les-classes-de-maternelle-sont-moins-exigeantes-dit-drainville

5 Le Devoir. (2023, 29 août). Bernard Drainville confiant qu’il y a un adulte dans chaque classe pour la rentrée. Le Devoir. Repéré à https://www.ledevoir.com/politique/quebec/797043/bernard-drainville-confiant-qu-il-y-a-un-adulte-dans-chaque-classe-pour-la-rentree


Dans mes écouteurs

Salut Serge !

OSM – Un musicien parmi tant d’autres – Harmonium symphonique – #musiquebleue

La bonne nouvelle de cette semaine

Quelle excellente nouvelle pour les cinéphiles québécois : le prochain film de la célèbre série James Bond sera réalisé par Denis Villeneuve. Oui, le Denis Villeneuve, enfant de Bécancour, formé ici, chez nous, dans nos écoles. L’annonce faite cette semaine confirme que, non seulement il sera réalisateur, mais aussi producteur exécutif, en compagnie de sa conjointe, Tanya Lapointe. Voir un créateur québécois à la tête d’un projet aussi emblématique, c’est plus qu’une fierté nationale : c’est la preuve qu’un regard façonné par notre culture peut maintenant éclairer l’un des univers cinématographiques les plus suivis de la planète.

Le choix de Villeneuve s’impose avec évidence. Son approche cinématographique, à la fois sobre, puissante et empreinte d’une grande humanité, pourrait bien redonner souffle à une série qui cherche constamment à se réinventer. Après Arrival, Blade Runner 2049 et Dune, on sait qu’il saura conjuguer profondeur narrative et puissance visuelle. C’est un moment marquant pour le cinéma québécois : non seulement un des nôtres fait son entrée dans la grande famille Bond, mais il le fait en y apportant son intégrité artistique et sa sensibilité. Cette fois, ce n’est pas seulement l’agent secret qui est en mission spéciale… c’est aussi le Québec.


Billet du 20 juin 2025 : François Legault et le mirage de la priorité éducative

On aime mentionner que l’éducation est une priorité nationale. Pour François Legault, ce n’était pas seulement une priorité, c’était la priorité. Il l’a affirmé à plusieurs reprises, martelé dans ses discours, répété en campagne électorale. En 2018, alors qu’il cherchait à se faire élire, il promettait que « jamais » un gouvernement de la CAQ ne couperait dans les services aux élèves. Cette déclaration, encore en ligne sur sa page Facebook, visait à rassurer un réseau scolaire échaudé par des années de compressions.

Mais certaines promesses, comme certains fantômes, finissent toujours par revenir nous hanter.

Car aujourd’hui, c’est bien un vent glacial de restrictions qui souffle sur notre système public d’éducation. Officiellement, on parle d’un effort budgétaire de 510 millions. En réalité, lorsqu’on additionne les mesures dites d’« optimisation » exigées en parallèle, le manque à gagner frôle le milliard de dollars. Et, contrairement à ce que certains aimeraient faire croire, ces compressions ne s’arrêteront pas aux bureaux administratifs.

Je prends ici un exemple concret. Dans un centre de services scolaire que je connais bien, on a calculé que même en fermant entièrement le centre administratif, et en remerciant tout le personnel qui y travaille, on ne réussirait à combler que 58 % de l’effort budgétaire exigé par le gouvernement. Autrement dit, les 42 % restants devront être retranchés dans les écoles, auprès des élèves. Et cela, même en sacrifiant des emplois déjà essentiels au bon fonctionnement du réseau.

Ce qui mérite d’être souligné à grands traits, c’est la coïncidence troublante entre les efforts exigés du réseau scolaire et les investissements publics improvisés des dernières années. On demande aujourd’hui à l’éducation de générer près d’un milliard de dollars en économies, pendant qu’on a perdu 1,33 milliard $ dans une poignée de projets mal planifiés ou précipités : Northvolt (270 M$), SAAQclic (500 M$), Lion électrique (177 M$), Medicago (283 M$) et les études entourant le troisième lien (100 M$). L’éducation devient ici le contrepoids d’une série de bourdes gouvernementales.

Une priorité de la CAQ, l’éducation ? Permettez-moi d’en rire.


Dans mes écouteurs

Neli Ivanova est une artiste émergente dont la voix enveloppante et la sensibilité à fleur de peau rappellent immanquablement Lhasa de Sela. Avec la même intensité et ce mélange de fragilité et de force, Ivanova tisse une œuvre poétique et introspective, entre chanson, folk et influences du monde. Loin de l’imitation, elle s’inscrit dans une filiation émotive, portant une parole singulière et magnifiquement assumée.

Avec Frères, elle propose une ambiance sonore feutrée. Les arrangements minimalistes laissent toute la place à la voix, soutenue par quelques textures discrètes et des cordes subtiles. Le résultat donne une chanson sobre, raffinée et parfaitement maîtrisée sur le plan acoustique.

Neli Ivanova – Frères – Invisible – #musiquebleue

La bonne nouvelle de cette semaine

Un nom : Claire Bell. Et une immense reconnaissance envers les bénévoles et les membres des services d’urgence qui ont toujours cru à la possibilité de la retrouver saine et sauve. Et qui ont tout mis en œuvre pour y arriver. L’être humain dans ce qu’il a de plus beau à offrir.


Billet du 13 juin 2025 : Contester les normes

Cette semaine, un article du Réseau d’information pour la réussite éducative (RIRE) a capté toute mon attention : « La pédagogie queer comme solution à l’intolérance » 1. Bien que le mot queer réfère d’abord aux questions d’orientation sexuelle et d’identité de genre, l’approche décrite ici va bien au-delà. Elle invite le personnel enseignant à remettre en question les normes implicites qui structurent l’école et la société. Il ne s’agit pas seulement d’inclure les élèves issus de la diversité sexuelle, mais de revoir nos façons d’aborder toute forme de différence, qu’elle soit culturelle, cognitive, linguistique ou autre. L’objectif n’est pas de nier qu’une majorité existe, mais de refuser que cette majorité soit vue comme la seule référence valable.

Un passage m’a particulièrement marqué : « Le rôle de l’enseignant ne s’y résume donc pas à enseigner l’ouverture et la tolérance face à la différence, mais plutôt à amener les élèves à contester les normes. » Cette phrase contient à elle seule une autre manière de concevoir l’éducation. Plutôt que de présenter certains élèves comme étant « différents » à tolérer, on invite à reconnaître que chaque élève est unique, avec sa propre trajectoire, ses repères, ses façons d’être. La pédagogie queer propose ainsi de déplacer le regard : au lieu de demander aux jeunes de s’ajuster aux attentes implicites du groupe dominant, on leur donne la permission, ainsi que les outils, pour interroger ce qui semble aller de soi.

C’est là, à mon sens, un formidable levier pour développer l’esprit critique des élèves. En les amenant à réfléchir aux normes plutôt qu’à simplement s’y conformer, on les aide à comprendre le monde avec plus de lucidité, mais aussi à y prendre leur place de façon plus libre et plus consciente. En tant que conseiller pédagogique, je vois dans cette approche un appel à élargir notre conception de l’inclusion : non pas un simple ajout, mais une transformation. Et si c’était justement ça, enseigner autrement.

1 CTREQ. La pédagogie queer comme solution à l’intolérance, RIRE, 15 mai 2025.


Diversion tactique

Attaqué par Elon Musk, Donald Trump s’est retourné et a frappé Los Angeles. En réaction aux critiques récentes du patron de X, notamment sur les politiques fédérales concernant les véhicules électriques, Trump a ordonné le déploiement d’environ 4 000 membres de la Garde nationale et 700 Marines à Los Angeles, en réponse à des manifestations déclenchées par une série de raids menés par l’ICE, l’agence fédérale chargée du contrôle de l’immigration (Immigration and Customs Enforcement). Plus de 400 personnes ont été arrêtées, et la mairesse Karen Bass, appuyée par le gouverneur Gavin Newsom, a dénoncé ce qu’elle qualifie de militarisation abusive. En somme, Los Angeles incarne tout ce que Trump s’emploie à combattre : une ville cosmopolite, farouchement démocrate, foyer d’initiatives progressistes et bastion de résistance à son autoritarisme. En la ciblant, il ne frappe pas seulement un territoire géographique : il attaque l’idée même d’une Amérique ouverte, plurielle et libre, celle qui lui échappe, électoralement comme symboliquement.

À ce stade, une question s’impose : quel genre d’individu s’en prend à autrui parce qu’un tiers l’a attaqué ? Les philosophes y verraient un déplacement, les psychanalystes un mécanisme de défense, et les stratèges une diversion tactique. Le commun des mortels y reconnaîtrait peut-être l’enfant qui, frustré, écrase le jouet d’un camarade au lieu de confronter celui qui l’a humilié. Ce n’est pas un hasard si Musk, dans cette scène, a joué la prudence calculée : il s’est contenté de relayer sur X un message de Trump et un autre de J.D. Vance, sans ajouter le moindre commentaire. Ni soutien explicite ni désaveu. D’un côté, Trump instrumentalise les tensions pour se poser en restaurateur de l’ordre ; de l’autre, Musk préserve ses alliances en laissant parler les autres à sa place. Ce n’est pas un rapprochement, c’est un jeu d’ombres : chacun utilisant l’autre comme levier, sans jamais tendre franchement la main.

Jeudi soir, la tension a pris une tournure encore plus symbolique, lorsque le sénateur Alex Padilla, voix californienne éminente, a été violemment expulsé d’une conférence de presse tenue à Los Angeles. Il avait tenté d’interpeller la secrétaire à la Sécurité intérieure, Kristi Noem, sur la légalité et l’ampleur des rafles et du déploiement militaire. Il a été plaqué au sol, menotté, et écarté, ce que ses alliés à Washington dénoncent comme un passage à tabac politique, un signe supplémentaire de militarisation du débat public. Ce nouvel incident résonne douloureusement avec le mécanisme de déplacement analysé plus tôt : face à une critique gênante, ici un sénateur élu, l’exécutif répond par la force, en choisissant la facilité de l’arrestation politique plutôt que l’affrontement argumenté.

Quand le pouvoir frappe à côté de la cible, ce n’est jamais par hasard, c’est pour que tout le monde regarde ailleurs. Et tant que les projecteurs restent braqués sur le fracas, personne ne pose de questions sur ce qui se joue vraiment en coulisses.


Dans mes écouteurs

Félix Dyotte, né à Montréal, est un auteur-compositeur-interprète acclamé de la scène québécoise. Reconnu pour ses textes sensibles et sa voix feutrée, il s’est illustré avec plusieurs albums solo, en plus de collaborer avec des artistes tels que Pierre Lapointe et Jean Leloup. Patrick Krief, aussi montréalais, s’est d’abord fait connaître comme guitariste du groupe The Dears, avant d’embrasser une carrière solo marquée par des sonorités rock et psychédéliques. Ensemble, ces deux artistes aux univers complémentaires unissent leurs forces pour créer une œuvre singulière.

Sorti la semaine dernière, Scarabée est le résultat de cette rencontre musicale. L’album propose dix pièces où la pop francophone se teinte de guitares nerveuses et d’arrangements raffinés. La chanson BMW en est un bel exemple : portée par une énergie rock et des cordes élégantes, elle évoque à la fois la vitesse, la fuite et la fragilité humaine. Une proposition aussi accrocheuse que mélancolique, qui révèle toute la richesse de cette collaboration.

Félix Dyotte et Patrick Krief – BMW – Scarabée – #musiquebleue

La bonne nouvelle de cette semaine

Le Paris Saint-Germain a remporté la Ligue des champions, et c’est toute son organisation qui en récoltera les fruits. Fidèle à une promesse faite en début d’année, le président du club, Nasser Al-Khelaïfi, a confirmé que la prime de victoire serait partagée avec les 700 salariés du club, toutes fonctions confondues. Du personnel d’entretien aux employés de bureau, en passant par les équipes de logistique et d’administration, chacun recevra une part de cette récompense collective. Un geste concret de reconnaissance, qui dépasse largement les mots et souligne l’importance de ceux qu’on ne voit pas sur le terrain, mais sans qui rien ne serait possible.

Dans un milieu souvent critiqué pour ses excès, ce choix détonne et fait du bien. En redistribuant une partie des millions liés à la victoire, le PSG rappelle qu’un club de soccer, ce n’est pas seulement onze joueurs, mais bien une communauté entière qui travaille dans l’ombre, au quotidien. Une belle manière d’honorer les coulisses d’un succès, et de donner un peu d’écho à l’idée que la performance est toujours le fruit d’un effort collectif. Voilà une bonne nouvelle qui mérite d’être soulignée.


Billet du 6 juin 2025 : Quand l’amygdale tweete plus vite que la raison

Depuis les derniers jours, Elon Musk et Donald Trump s’affrontent publiquement dans une querelle aussi bruyante qu’absurde. Menaces, accusations, chantage politique : les réseaux sociaux se régalent. Mais si on prenait un pas de recul, non pas politique, mais neuroscientifique, que nous diraient les spécialistes du cerveau humain sur cette joute d’ego ?

Quand un adulte puissant réagit avec impulsivité, menace ceux qui le contredisent ou lance des rumeurs pour se venger, ce n’est pas seulement un style. Pour plusieurs experts du développement humain, c’est souvent le signe que certaines structures du cerveau fonctionnent en mode archaïque, comme chez l’enfant.

Le docteur Daniel Goleman, spécialiste de l’intelligence émotionnelle, parle de « détournement amygdalien ». En gros : quand une émotion forte est déclenchée (humiliation, peur de perdre le contrôle), le cerveau rationnel se déconnecte. C’est alors l’amygdale, une vieille structure liée aux réactions de survie, qui prend le volant. Est-ce qu’on peut imaginer Trump ou Musk dans ce genre d’état lorsqu’ils publient leurs tweets les plus explosifs ? On serait tenté de le croire.

Le cortex préfrontal, lui, est censé tempérer tout ça. C’est lui qui nous aide à réfléchir, à prévoir les conséquences de nos actes, à freiner nos impulsions. Chez certains, cette partie du cerveau agit comme un bon conseiller. Chez d’autres, elle est parfois débordée par les émotions. Et c’est là que ça dérape. Le psychiatre Daniel Siegel rappelle qu’on peut être adulte biologiquement, sans l’être émotionnellement. Réagir comme un adolescent frustré à la moindre critique, ce n’est pas une preuve de puissance : c’est un signe d’un cerveau qui n’a pas fini de se réguler.

Des chercheurs comme Catherine Gueguen ou Gordon Neufeld insistent : la manière dont on a été aimé, écouté et sécurisé dans l’enfance joue un rôle clé dans la maturité émotionnelle adulte. Quand cette base est fragile, on peut passer sa vie à chercher à prouver sa valeur, à contrôler les autres ou à fuir la moindre remise en question. Et si, derrière les milliards de Musk et le pouvoir de Trump, il y avait simplement deux enfants blessés, mal équipés pour gérer le désaccord et l’impuissance ?

Ce que nous montrent ces deux hommes, c’est une forme d’immaturité déguisée en leadership. Ils ont beau être célèbres, riches et influents, leurs réactions ressemblent parfois plus à une bataille de cour de récréation qu’à un débat d’hommes d’État.

La bonne nouvelle, c’est que le cerveau conserve sa plasticité toute la vie. La mauvaise, c’est que ni Twitter ni Truth Social ne sont reconnus comme milieux favorables à son développement.


Pratiquer l’histoire

Dans un épisode récent de la série Le dessous des images, diffusée sur ARTE, la journaliste Sonia Devillers s’attaque à ce qui pourrait sembler être une lubie bureaucratique : la suppression massive d’archives photo par l’administration Trump. Mais derrière ce nettoyage numérique, on parle de plus de 100 000 images visées, se cache une entreprise bien plus inquiétante : l’effacement systématique de contenus liés à la diversité, à l’équité et à l’inclusion. C’est ainsi que des photographies de femmes militaires, de soldats afro-américains ou même du mythique bombardier Enola Gay (dont le nom contient malencontreusement le mot « gay ») se retrouvent à disparaître des bases de données publiques.

Ce n’est pas un simple excès de zèle. C’est une stratégie. En éliminant les traces visuelles d’une armée plus représentative, plus inclusive, Trump tente de restaurer un récit rétrograde : celui d’une Amérique militaire blanche, masculine, unifiée et mythifiée. Ce récit n’a jamais existé, mais il fonctionne à merveille dans un programme politique nostalgique. Pas besoin de réécrire l’histoire quand on peut simplement la purger.

On pourrait croire à une mauvaise blague algorithmique. Ce serait oublier que l’histoire est aussi un champ de bataille. Et que, dans ce champ, les archives sont des munitions. Staline effaçait ses ennemis des photos. Trump efface des décennies d’évolution sociale des serveurs fédéraux. Même combat. Et même nécessité de rester, plus que jamais, aux aguets.

C’est ici que les institutions éducatives, les musées, les journalistes, ainsi que nous tous, entrons en scène. Car si un gouvernement peut effacer des images, il ne peut pas effacer toutes les mémoires. Encore faut-il les entretenir, les transmettre, les confronter. Le danger ne réside pas seulement dans ce qui disparaît, mais dans ce que nous cessons de chercher, de nommer, de raconter. L’histoire, comme la démocratie, exige qu’on la pratique. Et parfois, qu’on la défende activement contre l’oubli organisé. Dans cette lutte pour la mémoire, l’intelligence collective reste notre meilleure arme : une conscience partagée, tissée d’expériences, de débats et de vigilance. L’intelligence artificielle, elle, peut nous épauler, à condition qu’elle soit au service de cette mémoire commune, et non d’un pouvoir qui cherche à la formater. Sinon, elle ne sera pas un outil de savoir, mais un complice de l’oubli.

ARTE. Donald Trump purge les archives pour réécrire l’Histoire. Le dessous des images, 3 mai 2025. [Vidéo en ligne]


Dans mes écouteurs

Originaire de Montréal, DanyJo s’impose comme une figure montante de la scène francophone avec son nouvel EP Trop d’histoires, lancé le 5 juin au Quai des Brumes. Après avoir exploré des sonorités pop et chanson dans L’antre nos deux oreilles (2023), il revient avec un projet résolument rock, teinté d’une poésie viscérale et attachante. Ce mini-album de six titres offre une immersion dans un univers musical riche et personnel.

Parmi les morceaux, Bob Dylan XII se distingue par son hommage subtil au légendaire auteur-compositeur américain. Avec des arrangements épurés et des paroles empreintes de réflexion, cette chanson reflète l’influence de Dylan sur DanyJo, tout en affirmant sa propre voix artistique. C’est une pièce qui incarne parfaitement l’essence du microalbum : une fusion entre tradition et modernité, portée par une sincérité désarmante. La voici.

DanyJo – Bob Dylan XII – Trop d’histoires – #musiquebleue

Les bonnes nouvelles de cette semaine

Il arrive que la reconnaissance vienne d’un peu plus loin que prévu. L’écrivain et journaliste Michel Jean a été fait chevalier de l’Ordre des Arts et des Lettres de la République française, un honneur rarement accordé à un Québécois, et encore plus exceptionnel pour un membre des Premiers Peuples. La distinction salue l’ensemble de son œuvre littéraire, ancrée dans la mémoire innue, ainsi que son engagement pour une représentation plus juste et humaine des Autochtones dans l’espace médiatique. Une reconnaissance internationale aussi touchante que significative.

Pendant ce temps, sur un tout autre terrain, Luguentz Dort et Bennedict Mathurin font eux aussi rayonner le Québec, cette fois sur la scène de la NBA. Leurs équipes respectives, le Thunder d’Oklahoma City et les Pacers de l’Indiana, s’affronteront en finale du championnat. C’est une première : deux joueurs québécois dans deux équipes finalistes au basketball. Pour un sport encore marginal il n’y a pas si longtemps au Québec, c’est un signe fort de progression, et un rappel que le talent d’ici peut atteindre les plus hauts sommets.

Deux bonnes nouvelles, donc, qui nous rappellent qu’il est possible de se rendre loin sans renier d’où l’on vient. Que ce soit en maniant la plume ou le ballon, ces parcours inspirants tracent des trajectoires lumineuses et donnent envie, l’espace d’un instant, de croire que l’élan d’un peuple peut se jouer sur tous les terrains.